Alain le philosophe
Mon grand oncle et Alain

ou la rencontre imprévue

Après l’enterrement de ma grande tante, alors que je m’apprêtais à rentrer en voiture sur Paris, sa fille, ma cousine me retint par la manche et me dit : « Attends une seconde, je dois te remettre une caisse de livres que maman avait préparés pour toi. Elle savait que tu aimais la philosophie »

J’étais touché par cette attention mais je me méfiais tout de même. Ma grande tante et mon grand oncle avaient certes vendu des livres, modernes plutôt qu’anciens, mais qui n’étaient toutefois pas du genre que j’affectionne. Quelque quinze années auparavant, ils m’avaient invité à les rejoindre à l’occasion d’une signature de livres qu’ils organisaient chez eux. J’y étais allé sans arrières pensées et je m’étais retrouvé parmi des auteurs, des écrivaillons plutôt, et des hommes politiques, d’extrême droite exclusivement. Il ne manquait que Le Pen qui avait d’ailleurs envoyé un petit mot d’excuse à ma grande tante. J’appris ainsi qu’ils se connaissaient bien.

Je reçus donc la caisse de livres des bras de ma cousine – à cheval donné, on ne regarde pas les dents –, rangeais la caisse sans l’ouvrir dans mon coffre et rentrai sur Paris.

Au pied de la porte de l’ascenseur, la caisse dans les bras, et avisant la porte du local aux poubelles qui la jouxtait, je me pris à hésiter : la poubelle tout de suite ou demain ? La porte de l’ascenseur était automatique, celle du local aux poubelles ne l’était pas. J’étais encombré. J’optais pour la facilité.

Je n’ouvris la caisse que le lendemain. J’y trouvai, sur le dessus, quelques livres de prières et autres textes de peu d’intérêt que j’écartai sans ménagement. Ma grande tante avait été une maréchaliste de la première heure et la mère supérieure d’une congrégation catholique intégriste pendant les dernières, après la mort de mon grand oncle. Mais, sous ces quelques livres, je découvris, à ma grande surprise, la quasi-totalité des œuvres d’Émile Chartier, autrement appelé Alain, le philosophe.

En compulsant rapidement certains de ces ouvrages, j’y trouvais quelques fiches sur lesquelles figuraient des citations extraites des livres dans lesquels elles avaient été glissées, toutes écrites de la main de mon grand oncle. Ce dernier affichait cependant, comme ma grande tante, une fidélité sans bornes aux idées et à la mémoire du Maréchal.

Je n’y comprenais plus rien. Alain, un philosophe, entre les mains d’un pétainiste ! Ma cousine, à laquelle je m’en ouvris un peu plus tard, me confirma que son père adorait Alain.

Je n’avais qu’un vague souvenir de mes lectures d’Alain à l’adolescence et elles s’étaient cantonnées à quelques « Propos » rassemblés par grands thèmes. Pour comprendre, pour comprendre la relation entre mon grand oncle pétainiste et Alain, le philosophe, je devais donc me plonger dans la lecture de ses textes et revoir mes positions, soit sur Alain, soit sur mon grand oncle.

Ce que je fis.

Ma connaissance, limitée certes mais réelle, des textes des philologues et des philosophes des dix-neuvième et vingtième siècles m’aida grandement dans cette tâche.

Et je compris.

Patrice Bérard, juin 2009
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