Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (30)

En regardant le JT

Stéphane Hessel est mort il y a quelques jours, le 27 février 2013. La terre tournera sans lui. Elle a bien tourné avec lui !

J’aimais bien ce personnage, une sorte de grand-père pour tous, un sage auquel l’âge et l’Histoire avaient conféré une aura particulière, une idole vivante et bienveillante retirée au fond d’un temple et qui soudain s’était levée, une voix, une référence, un homme qui ne s’était jamais porté au premier rang mais qui avait agi, résisté, un autre Jean-Pierre Vernant, un autre Aubrac, Lucie ou Raymond… un autre parmi tous ces justes, qu’ils aient ou non survécu à l’horreur.

Stéphane Hessel était capable de réciter des milliers de vers en trois langues, en allemand, sa langue maternelle, en anglais et en français. Y a-t-il une meilleure façon de parler parfaitement une langue, quelle qu’elle soit, qu’en apprenant par cœur, de ses poètes, des centaines, voire des milliers de vers ? A l’école, nous apprenions des poètes, au collège, au lycée, nous apprenions des poètes. Apprentissage aujourd’hui proscrit, prohibé, interdit, comme si on brûlait leurs livres !

A quelques heures de la mort de Stéphane Hessel, je regardais –  j’aime de temps en temps savoir à quelle sauce nous sommes mangés, savoir de quoi l'on parle, comment on en parle et surtout de ce dont on ne parle pas – les actualités de la 2 ou de FR3, je ne sais plus, vous savez l’une de ces chaînes publiques qui rivalisent avec la UNE pour traiter de ce qui ne fait que du remplissage lorsqu’il n’y a pas de têtes à bourrer : le temps, exécrable, on le sait, il suffit de regarder par ses fenêtres, l’engorgement des gares et des routes au départ des vacances, on le sait, il suffit de rester tranquillement chez soi au lieu de suivre le troupeau ; et cette chaîne passait un reportage sur des jeunes de la banlieue d’une ville du sud, Montpellier je crois.

Etait interrogé un jeune homme qui, bien que suivant les cours de la faculté – du moins s’en targuait-il, et, s’il les suivait bien, les rattrapait-il ? – un jeune homme donc qui clamait son désarroi devant le chômage sévissant dans sa région et dont l’importance ne lui permettrait sans doute pas de trouver un travail son diplôme obtenu ; et ce jeune homme le signifia par cette phrase : « La fac’, ça va rien m’servir ! »

Ah ! me dis-je, si ce jeune homme est entré en faculté avec ce bagage en français c’est que ses maîtres ont sans doute perdu les leurs car les anciens ne lui auraient sans doute pas délivré le fameux certificat d’études qui, il y a cinquante ans, sanctionnait les connaissances acquises à la fin de la septième, CM2 aujourd’hui. Les candidats, à cette époque, devaient parler français pour l’obtenir. Quant à l’entrée en faculté, il fallait encore sept ans d’études et passer deux barrages, deux baccalauréats, pour y prétendre.

Ou bien encore ce jeune homme n’a-t-il jamais mis les pieds dans une faculté si ce n’est pour en humer l’air qui n’est plus chargé d’encre et de papier mais de bits hésitant entre les deux seules notes qu’elle aurait pu lui décerner, le 0 ou le 1, cette dernière avec bienveillance !

Ou bien encore les journalistes qui l’interrogeaient étaient-ils nantis des mêmes diplômes que ceux qu’il avait déjà acquis, c’est à dire aucun ou bien encore oscillant entre le bac moins 7 et le bac moins 8, pour ne pas avoir relevé ce qui pouvait passer pour un simple mensonge, une boutade, un pied de nez et ne pas l’avoir coupé au montage…

Ou bien enfin ce jeune homme a-t-il paraphrasé certains de ses camarades en « parlant la France » car pour passer au « JT » il faut parler comme les journalistes le demandent et comme ils parlent eux-mêmes, mettre des « par rapport » partout, que même les politiques, ils en usent, ou des mots comme « impétrant » pour faire joli et savant surtout si le mot signifie l’inverse de ce qu’on voulait dire, ah bon ? c’est l’inverse ? zut alors, je savais pas ! aucune importance, personne n’ira vérifier et puis les politiques sont là pour vous vider les poches et remplir les leurs et les journalistes pour les épouser ou en faire leur concubine, voire leurs concubines ou leurs concubins et non pour parler français. Allez La France, tout le monde doit parler la France ! Comme Montebourg, comme Sarkozy, et si t’es pas content, t’as qu’à te casser, pauv’ con !

Il est bien des explications qui pourraient être données mais il semble que tout le monde s’en fiche, personne ne s’indigne plus de rien, ni qu’on écorche la langue à peine de ne plus s’entendre, de ne plus se comprendre, ni qu’on distribue aux pauvres les plats retirés des étals des supermarchés et préparés avec de la viande de cheval – mais avec quoi d’autre surtout – ni que ces « journaux télévisés », ceux de la UNE, de la 2 ou de la 3, aient pour seule vocation la désinformation, fouillant dans les cloaques, la transformation du spectateur passif en crétin parfait, un crétin propre à gober n’importe quoi, à avaler n’importe quoi, et plus c’est gros, plus c’est stupide, plus c’est placé en dessous de la ceinture, plus ça fait pleurer dans les chaumières, plus ça fait peur, mieux ça marche ! Plus encore, ça court si ça le peut encore.

Il est vrai qu’engoncé dans un fauteuil IKEA avec un soda bourré de sucre dans une main et une part de pizza au minerai dans l’autre, se lever pour marcher, pis pour courir, ça va être plutôt compliqué. Alors, ça s’empiffre, ça absorbe du « JT » comme du chocolat bon marché qui n’a plus beaucoup de chocolat, juste un peu pour la couleur et encore, la chimie y pourvoit. Pourquoi mettre du chocolat dans les chocolats s’il y a des crétins pour en acheter ? Et pourquoi mettre des informations dans les « JT » s’il y a des crétins pour les gober ? Autant donner des pépites à des cochons !

Un indigné s’est éteint. Pendant ce temps, des millions de bœufs ont demandé qui était cet Aisselle qui ne semblait pas sentir la sueur mais plutôt le savon. C’était pas Mercedes son prénom ?

Heureusement, dans ces « JT », on ne lui a consacré que quelques toutes petites minutes, juste le temps d’aller pisser un coup et chercher une nouvelle part de pizza en attendant le « sport ».

P.B., ce 4 mars 2013

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