Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (31)

Votre tarte à la merde, vous la voulez avec ou sans chocolat ?

– Bonjour Monsieur Servier.

– Bonjour André. As-tu entendu cette nouvelle qui, pour d’aucuns, n’est pas une nouvelle car on sait depuis longtemps qu’IKEA ne vend que des produits de médiocre qualité mais dont ne savait pas qu’elle était si douteuse ? Eh bien ! il a été découvert, chez IKEA, et la nouvelle a été publiée le 5 mars, que deux lots de tartes au chocolat commercialisées en France, présentaient « des problèmes d’hygiène ». On y a découvert des bactéries coliformes, c’est à dire « des germes indicateurs de contamination fécale ».

– De la merde… quoi ! C’est plus simple de dire de la merde. C’est plus court.

– Et selon IKEA, « les produits concernés n’auraient pas atteint le seuil de dangerosité pour la santé ».

– Comme pour Fukushima passé deux kilomètres au-delà de la centrale.

– Oui, mais ce n’est tout de même pas de la merde radio-active…

– Pas à ce point, monsieur Servier. Ne parlions-nous pas, hier, de chocolats de merde ?

– Tu n’avais pas employé cette expression. Tu avais dit : Pourquoi mettre du chocolat dans les chocolats s’il y a des crétins pour en acheter…

– De la merde, c’est aussi bien. Même pas besoin de la chimie pour la couleur. C’était bien vu de la part d’IKEA. La merde, ça coûte moins cher. Et ça rapporte gros. IKEA a réalisé dans ses cafétérias un milliard trois cent millions d’euro, près de 5% de son chiffre d’affaires.

– Eh oui ! mon petit André. Engranger plus d’un milliard d’euro avec de la merde, un excipient qui ne coûte pas grand’ chose, c’est bonheur. Moi-même, je n’avais pas pensé l’utiliser pour l’ajouter à mon petit Médiator. J’aurais dû m’y pencher afin d’accroître mon chiffre d’affaires car nos contemporains ne voient, ne parlent, ne jurent que par la merde, la merde qu’ils ont dans les yeux, la merde qu’ils ont dans le cœur, la merde qu’ils ont dans l’esprit. Quand ça sent la merde, quand ça a le goût de la merde, quand c’est de la merde, ils s’y précipitent, tête baissée. Vêtements tissés par des petites mains au Bangladesh, mobiliers en faux bois encollé et bourrés de solvants, fruits bien brillants traités au gaucho, viandes insanes, organismes génétiquement modifiés bourrés de désherbants dont on nourrit les animaux qu’ils mangeront, qu’on leur sert dans ton assiette, dont on pare leur maison, dont ils s’habillent… La merde, tu la manges tout les jours, tu la bois, tu l’inhales, tu t’en revêts. Et non seulement tu la manges, tu la bois, tu l’inhales et t’en revêts mais tu la payes, tu la payes avec ton salaire, maigre car on y a déjà prélevé la manne, tu la payes avec ta santé, mais je suis là pour te retaper, tu la payes en multiples nuisances, visuelles avec les placards publicitaires qui te répètent inlassablement « consomme ma merde, consomme ma merde, consomme ma merde », auditives avec ta télé qui hurle « consomme ma merde, consomme ma merde, consomme ma merde, consomme mes yaourts bourrés d’œstrogènes qui te feront ventre plat et jolis seins » – mais je suis un homme – qu’importe cela te fera petites couilles et rares spermatozoïdes, « jolis seins… » mais je n’en ai plus qu’un que l’aluminium de mon déodorant a miraculeusement épargné – mais pourquoi as-tu eu besoin de ces déodorants ? – c’est que je transpirais trop dans mes chemisiers et mes soutien-gorges en fibres synthétiques ou en coton douteux. « Consomme », consomme tout et n’importe quoi, fais la queue en attendant l’ouverture de ton supermarché, d’IKEA, comme les vaches de réforme font la queue devant les abattoirs avant de se faire égorger, étriper, transformer, recycler et étiqueter boeuf !
IKEA, la grande distribution, les fournisseurs des cantines l’ont bien compris. Avant-hier encore on montrait du doigt une bonne petite entreprise, Spanghero, qui vendait du cheval pour du bœuf, pécher véniel, eh bien la même est une nouvelle fois montrée du doigt pour vendre et avoir vendu et conserver dans ses frigorifiques – 57 tonnes, ce n’est pas rien – des déchets anglais de gras, de viande – un peu semble-t-il – et de tendons récupérés sur des carcasses de moutons sous l’appellation viande hachée d’agneau, au mépris de la réglementation mais qu’est-ce qu’une réglementation lorsqu’il y a des millions à gagner ? Ainsi rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, la merde et les déchets sont recyclés, réinjectés dans le circuit comme les vieux pneus ou les papiers usagés. Il n’y a guère que les chômeurs, dans notre pays, qu’on n’arrive pas à recycler sauf en assistés, pour combien de temps, ou en suicidés – cela fait moins d’aumônes à verser. Les hauts fonctionnaires qui voulaient s’enrichir ont été recyclés sous Mitterrand dans la banque, les assurances, les grandes entreprises – pourquoi crois-tu qu’elles sont si mal gérées en France et qu'elles payent si peu d’impôts ? – on recycle toujours les militants, les partisans, les sympathisants des partis, on a multiplié pour eux les postes avec la décentralisation et les associations dans lesquelles on recycle les subventions en distributions occultes pour politiciens en place. C’est bonheur, c’est bonheur, le recyclage. Et je ne te parle pas des créances pourries des banques, hier Crédit Lyonnais, Banque de la Cité, Société Générale demain Crédit Agricole, recyclées chez nous en impôts supplémentaires ou en dettes pour nos descendants. Recyclage ! Transformation ! Prestidigitation ! Tu vois, ça brille mais ça n’est de l’or que pour ceux qui recyclent la merde en ce métal précieux. Tour de passe-passe, alchimie du présent. Tu n’as rien vu, de ce chapeau semblant vide sort un pigeon, toi, deux pigeons, toi et toi, trois pigeons, toi, toi et toi, toi qui, avec tes yeux émerveillés mais en fait endormis, n’as pas su ni voulu regarder, toi qui t’es laissé entortiller, enfariner, berner. Noël ! C’est Noël, le recyclage. C’est Noël le petit enfant qui vient de naître et qui sera recyclé bientôt en viande à satisfaire quelque curé violeur ou quelque touriste bedonnant dans les pays d’Asie du Sud-Est, en petit esclave pour IKEA – tu vois, on y revient. Son fondateur adhéra au parti nazi à cette époque où l’on recyclait la graisse des juifs, mais ils n’en avaient pas trop, en savonnettes ou ces mêmes juifs en esclaves éphémères d’IG Farben, recyclée en Bayer AG… Il en a tiré les leçons. C’est loin le Bangladesh, qui ira vérifier l’âge des enfants qui travaillent pour lui, qui ira voir combien d’heures par jour ils travaillent pour lui, et pour quel salaire de misère, qui ira voir combien survivront à ces maigres régimes ? Ces enfants sont recyclés en gentils esclaves, en adultes dès quinze ans – c’est malheur, depuis que certaines organisations non gouvernementales y ont mis le nez, l’âge adulte a été repoussé de dix ans à quinze ! Il y a toujours des empêcheurs de s’enrichir en rond. Il restait cependant un marché qui n’avait pas encore été trop exploré, celui de la tarte à la merde. Vous en rêviez ? IKEA l’a fait !

P.B. ce 20 mars 2013

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