Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (4)

Et si nous parlions religion...

J’étais petit, très petit – j’ai changé depuis – et, un jour, ma grand’ mère me désigna du doigt, dans l’église Sainte Odile, grande et austère bâtisse de briques rouges se dressant à côté de la place Champerret à Paris, quelque chose ou quelqu’un et me dit : « C’est le petit Jésus, là-bas. » À ce moment précis, traversait l’abside, au loin, un petit bonhomme tout de noir vêtu, ensoutané, ventripotent, que ma vue, troublée à l’époque parce que non corrigée, me fit prendre pour le petit Jésus. Je m’étais, semble-t-il, mépris sur la personne, mais, à la réflexion, je n’en suis pas si sûr.

Cette méprise, qui n’était peut-être qu’une prise de conscience nécessaire, me fit relativiser dès lors les dits et commandements de la Religion, ou, si l’on veut, des religions. Lorsqu’il est question du petit Jésus, je revois toujours ce petit bonhomme, précédé de son ventre, comme je vois aussi l’abbé M… qui enseignait au lycée Carnot à Paris et qui adorait lorgner les petites bites des communiants, surtout si ces derniers avaient les cheveux blonds et bouclés, comme ceux des anges. Les miens étaient bruns, j’y échappais !

« Les religions sont des bêtises » écrivait Alain, le philosophe, Émile Chartier dans le civil. Non ! ce ne sont pas des bêtises. Ce sont des systèmes, des systèmes qui peuvent autant réduire que protéger, protéger qu’élever, élever que détruire. Les systèmes n’ont pas de noms pour les qualifier, ou bien ils en ont trop. L’ange ou le démon qui les manipulent peuvent tout aussi bien les faire verser d’un côté ou de l’autre.

J’avais donc ma paroisse, comme j’avais mon lit et comme je n’avais pas ma chambre puisque je la partageais avec ma sœur. Depuis quelques années, j’ai ajouté à mes propriétés diverses « mon » Centre des impôts, « mon » URSSAF et bien d’autres, qui veulent tous mon bien dans le même temps qu’ils me font les poches, qu’il me dépouillent et lorsque je rechigne, me dépêchent leurs huissiers, toujours pour mon bien, et me délestent des miens. Le bien commun a autant bon dos que mon salut. Curés, imams, pasteurs, rabbins en font commerce comme Bouygues, Leclerc, Sanofi, Danone, Renault ou l'Etat le font de mon bien-être. Je n'ai pas le choix. Je dois casquer !

Entouré de toutes ces personnes qui me veulent du bien, je devrais être le plus heureux des hommes. J’entends ici cet imam prêcher la lapidation des femmes infidèles ou la correction des femmes indomptées, j’entends là un pape vanter les méfaits du préservatif sans expliquer où ni comment il faut le mettre, car il est bien évident qu’il est très dangereux de croire qu’il s’agit d’un passe-montagne, un évêque regretter d’avoir laissé tant de jeunes gens se faire violer – il ne faut pas être beau –, se faire fouetter – il ne faut pas être laid – par quelques pasteurs dont il avait la charge et la surveillance, ou quelques curés, je ne sais, mais à leur corps défendant, il faut l’ajouter, car ils ne voulaient, ces pasteurs, ces curés, que leur bien, – quoique, et c’est la joie du français, on ne sache pas très bien à qui ce « leur » se rapporte, mais laissons là l’obscurité, elle autorise la double réflexion – et tant d’autres de ces « petits » scandales, mignons, bénins, des peccadilles.

Car il ne s’agit après tout que de la vie, de l’intégrité corporelle de personnes dont on ne veut que le salut ; c’est pour leur bien qu’on les dépouille, qu’on les tue, qu’on les martyrise, qu’on les broie, qu’on les viole ; le bien est l’excuse par excellence. « Il y a de bonnes guerres, des guerres justes », écrivait saint Augustin. « J’en fis », reprit saint George en terrassant le dragon prénommé Saddam sous des milliers et des milliers de morts – il ne faut pas être irakien –.

J’entends, et je fronce les sourcils. Je fronce les sourcils et la nausée m'envahit. La nausée m'envahit mais je me reprends.

Il ne faut jamais généraliser. Tous les prêtres, de quelque bord qu’ils soient, n’ont pas été, ne sont pas et ne seront pas des violeurs, des tortionnaires de la même façon que toutes les forces de l’ordre, en 1942 à Paris, n’ont pas été de la rafle des juifs. Tous, non, beaucoup, beaucoup, beaucoup trop, oui ! Gardons cela en mémoire. Ces quelques récalcitrants, s’ils ont survécu à leur acte de désobéissance, ne sont l’excuse ni la conscience du grand nombre. Le grand nombre s’en fout pourvu qu’il puisse continuer de torturer et massacrer à son aise, si l’occasion s’en présente, après qu’on l’aura absout de ces vétilles qui font l’ordinaire de ceux à qui l’on confie une parcelle de pouvoir, et qui en usent, qui en abusent, jusqu'à s'en faire péter la sous-ventrière.

Depuis que ma grand’ mère me désigna, il y a bien longtemps, cette image du petit Jésus et que, louée soit ma vue déficiente, je me trompais de cible, j’obvie, je dévie, je me règle sur d’autres images que celles qui me sont envoyées nettoyées, édulcorées, contrefaites, et qui me sont présentées comme étant des Vérités.

Ni dieu ni maître. Une paire de lunettes me suffit bien, que j'enlève parfois, pour y voir clair !

Patrice Bérard, 26 mai 2009

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