Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (5)

Votez !

J’aime bien ce mot, « votation », qu’on utilise en Suisse francophone en en chantant les syllabes, comme j’aime bien entendre toutes ces déclinaisons du français, dans nos régions comme en Belgique, au Canada, dans les îles Caraïbes, en Afrique…

J’aime bien le mot « votation » mais je ne vote plus depuis maintenant quarante ans et je fus très heureux d’entendre Alain Badiou, fondateur et président du Centre International d'Étude de la Philosophie Contemporaine, sur France Culture, un matin d'avril ou plutôt de mai 2009, « avouer » qu’il en avait aussi abandonné la pratique à la même période, me précédant toutefois d’une année.

En 1969, on nous proposait deux produits assez semblables, un Pompidou qui n’était pas encore malade, et un Poher qui était, semble-t-il, en bonne santé. Ils se ressemblaient comme deux paquets de biscottes mais, lorsque l’on préfère le pain, le bon pain tout simplement, on n’hésite pas entre ces deux paquets. On tourne les talons et l’on s’en va chez son boulanger.

Au supermarché de la politique et de la votation, tous les crieurs apparaissent d’un coup pour vous vanter pendant quelques semaines la qualité de leur marchandise, leurs tomates poussées au compte-goutte et cirées comme des miroirs aux alouettes, leurs salades à la belle apparence mais, las, flétries dès qu’on les déballe, leur prix, une misère… qui vous rattrapera bientôt. Puis ils disparaissent, ils rentrent dans leurs coquilles.

Au supermarché de la politique, tous les camelots sont des professionnels, d’habiles professionnels qui emplissaient les stades de leurs supporters, ou, à défaut, de figurants rémunérés. Ce temps a passé depuis que les billets d’entrée sont payés par l’impôt. Il ne leur est plus besoin de faire appel à la générosité privée, celle de leurs petits supporters certes, mais surtout celles des grandes entreprises auxquelles ils devaient renvoyer le ballon durant leur mandat. Si ces pratiques n’ont pas totalement disparu, elles sont plus discrètes et moins nécessaires, les crieurs se servant directement dans les poches de tous les citoyens. La manne, ils l’ont votée, en 2003, avec une loi, rien que pour eux ! Il faut bien faire utile, une fois au moins pendant sa mandature. Dans le même temps, ils votaient la restriction du cumul des mandats qui était avant tout celle du cumul des rémunérations qu’ils en tiraient. On prend d’un côté, d’une façon certaine et pérenne, et on abandonne de l’autre ce qui était plus incertain. Vous voyez bien qu’il existe une morale en politique !

Et comme ces professionnels n’ont plus besoin de faire la manche, ils n’ont pas plus besoin d’être présents dans les hémicycles. Pas de pointeuse comme en usine. L’escarcelle s’emplit sans effort et sans plis.

Il leur faut tout de même se faire élire, convaincre la population, une partie d’entre elle, la moitié, au pire le quart, qu’il faut se rendre aux urnes. On peut certes les bourrer, comme on le fait dans quelques « démocraties », des plus grands pays aux plus petits, le nôtre compris, il n'y échappe pas, – la Mathématique sociale de Monsieur de Condorcet reste introuvable – mais cela fait désordre...

Si une désertion massive se produisait, cela les mettrait rudement dans l’embarras, ces crieurs, ces bonimenteurs. Il existe bien une religion du vote en France, depuis la Révolution, quoique… à voir comment sont emplies les églises le dimanche, les bureaux de vote commencent à leur ressembler. Les curés ne font plus recette. À trousser leurs ouailles, elles ont fui. À détrousser les électeurs, ils fuiront ! Les promesses du paradis ne font plus rêver, ceux des temps meilleurs ou nouveaux, du bonheur pour tous, non plus. Le ciel ne fait plus recette ! Plus personne n'y croit !

Il reste l’épouvantail de l’enfer. Ça, ça peut encore marcher. Ça a marché avec Chirac. Quatre-vingt pour cent ! Un plébiscite ! Tous se sont précipités aux urnes, tous, droite et gauche confondues, même les paralytiques, les aveugles ont voté ! Pain béni !

Au supermarché de la votation, je ne me déplace plus. Loin des bruits, je regarde avec le même œil les affiches où les visages souriant faux de ces Narcisse enrubannés sont encadrés de leurs messages vantant leur camelote, leur bimbeloterie, comme celles qui me proposent de courir acheter un paquet de tranches de jambon phosphaté à 1,59 €.

D’un poison l’autre, je laisse et passe mon chemin.

Patrice Bérard, 27 mai 2009

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