Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (6)

Le (super)marché de la peur

Ah ! Que voilà un beau marché que celui de la peur. On le voit largement fréquenté par tous les camelots de la politique, par tous les démarcheurs des laboratoires pharmaceutiques, par les industriels de l’agro-alimentaire, par les prophètes de la fin du monde, tirant à hue et à dia : oui ! il faut avoir peur, non ! il ne faut pas avoir peur. Ils se gorgent du mot, ils s’en gargarisent, et il n’est pas de phrase où ils ne le fassent figurer, en bonne place, où ils ne le martèlent, dix fois, cent fois, mille fois… des fois qu’on ne l’aurait pas entendu la première.

Mais qui a peur ? Eux !

Ils ont peur que la peur ne fasse plus recette, que l’on déserte leurs réunions, leurs hôpitaux, leurs pharmacies, leurs O.G.M., leurs actions, leurs obligations, leurs banques, leurs usines, leurs bureaux, leurs perceptions, leurs syndicats, leurs boîtes de tôle et béton où ils ont installé leurs supermarchés ; ils ont peur qu’on les déserte, qu’on leur tourne le dos. Ils ont peur qu’on ne veuille plus participer à leurs guerres intestines à qui amassera le plus gros magot, qu’au lieu d’aller travailler pour eux afin de survivre, on se ménage un petit bout de terre qu’on sème de légumes, ils ont peur que l’on se prenne en main.

Pourquoi attendre l’appel, la lettre de licenciement, la fermeture du bureau ou de l’usine ? Autant déserter tout de suite. Un bras d’honneur n’a jamais tué personne !

Allez ! Vous nous faites braire avec vos produits frelatés qui nous font des bouées tout autour de la taille, qui nous engorgent les artères, avec vos bagnoles, vos camions qui rendent asthmatiques nos enfants, votre amiante qui nous fusille les poumons au placement comme au retrait, vos usines qui nous empoisonnent, vos crèmes, vos régimes, vos médicaments qui sont censés nous réparer de tous les outrages que vous nous avez fait subir… Détruire d’un côté pour réparer de l’autre, vous gagnez de tous les côtés, au grattage comme au tirage. Bel ouvrage, beau boulot en vérité !

C’est de nous-mêmes qu’il nous faudrait avoir peur, peur d’accepter d’avoir peur pour un rien, les jeunes des vieux, les vieux des jeunes, les femmes des hommes, les hommes des femmes, les hommes des hommes, les femmes des femmes, l’employé de son chef, le chef de son employé, le contribuable de son percepteur, la foule d'un vieil homme à peine capable de conserver son bras droit raide levé pour saluer ce qui reste de ses adeptes aussi cassés que lui. Peurs ridicules, orchestrées, organisées par une basse propagande dont le petit écran se fait le mentor complice et complaisant. Les murs sont bien faits pour être abattus un jour. Et ils tombent, avec ou sans trompettes !

Nous sommes mortels. Oui, et alors ? Vous aussi ! Plus tard, plus tôt, nous serons tous remplacés. Ce n’est pas une nouvelle et nous n’en avons nulle peur.

Pas plus que vous n’en avez de transformer cette planète en un gigantesque champ de larmes et de ruines, en poubelle, en charnier et chacun d'entre nous en valet, en triste exécutant de ces basses besognes.

C’est cela qui pourrait, non pas nous faire peur, mais bien nous faire agir !

Patrice Bérard, 27 mai 2009

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