Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (8)

Vous en reprendrez bien un dernier…

Un ancien médecin de mes amis me conta un jour ses démêlés avec le Conseil de d’Ordre, son combat contre l’hydre. Mais il n’avait rien d’un Héraclès et il se fit terrasser après cinq ans d’une lutte inégale. Les représentants de l’Ordre avaient cherché, mais en vain, parmi ses clients, un malade, un mal soigné, quelque mort qui pourraient lui être imputés. Mais de tout cela, rien. Ses patients se portaient bien. Certes, les chauves étaient toujours chauves et les manchots encore manchots. Et, comble de malchance, lorsque l’on s’intéressa aux culs-de-jatte, on les trouva… ingambes !

Ce médecin était en effet bien embarrassant. Il soignait avec des plantes – il est un excellent botaniste – des décoctions, des infusions, des alcoolats qu’il préparait lui-même et qu’il donnait ! Songez-y. Quelle plaie pour l’industrie pharmaceutique. Vendre, certes, mais donner ! Sans conteste, un médecin aux telles pratiques et dont les patients se portaient bien était un danger pour l’ensemble de la profession.

On le déclara donc fou. Ne diagnostiquait-il pas à l’aide d’une baguette ? Pratique non-conforme ! N’affirmait-il pas qu’il était la réincarnation de nombreux sages, philosophes et scientifiques de renom, et même oubliés ? Un fou ! Nous sommes dans un pays qui croit en Dieu, non ? Le dieu des chrétiens bien sûr, à tout seigneur tout honneur, celui des juifs à la rigueur, on leur pardonne d’avoir été si nombreux à regagner le nôtre par les cheminées des crématoires, celui des musulmans… il ne faut tout de même pas exagérer ! Le ciel n’est pas un souk !

Donc un médecin incroyant, première faute professionnelle, soignant avec des plantes qu’il essayait d’abord sur lui-même, deuxième faute : a-t-on jamais vu un médecin se soigner avec les médicaments qu’il prescrit ? Il faut être fou, non ? et c’en est bien la preuve. Quant aux patients en bonne santé, il s’agissait bien là de la faute la plus impardonnable. Un patient, cela se soigne, longtemps, à vie. Il lui faut être malade, de n’importe quoi avec un nom gréco-latin pour faire sérieux, ou mieux encore un malade en puissance (la prévention, le régal ! à quoi avez-vous échappé ? un cancer du sein, un cancer colo-rectal, c’est beau ça et c’est mal placé, sur quoi allez-vous vous asseoir ?) qui doit consommer ses 15 € journaliers, au moins, voire 50, c'est mieux, 100, le rêve ! en médicaments divers, aller chez son pharmacien comme il va au supermarché pour faire son plein de gras, de sucres, de sel, de pesticides, d’édulcorants, d’organismes génétiquement modifiés et autres gâteries. Entre industriels, il faut se tenir la main. Merci, Michel-Édouard… Merci Sanofi ! À charge de revanche…

C’est vrai, non. Un cachet de Flavix vaut vingt-sept fois le prix d’un cachet d’aspirine et a les mêmes effets. Deux verres de vins aussi, mais le képi n’est pas loin… Il faut choisir… Flavix, c’est joli ce nom… Aspirine, c’est démodé ! Côtes du Loir, c’est risqué !

Vous êtes constipés ? Eh bien ! vous avez toute une panoplie de laxatifs qui vous raclent les intestins, je ne vous dis pas, et si, après la prise, vous avez trop mal au ventre, allez donc faire un tour chez Michel-Édouard qui vous vendra à prix d’or, pour vous réparer martèle la publicité, des yaourts dont le lait n’aura pas bien coûté cher à l’industrie de Monsieur Danone qui l’achète pour une bouchée de pain aux petits producteurs qu’il étrangle…

L’industrie pharmaceutique, l’industrie médicale, l’industrie alimentaire ne veulent que votre bien, sachez-le, enfoncez-vous bien cela dans le crâne. Elles vous vendent du sang contaminé, de la cervelle en poudre à vous faire attraper un bon Creutzfeld-Jacob, en toute impunité (on ne savait pas ! implorent-ils ; c’est vrai, acquiescent complaisamment les juges), des médicaments bidons (trois cents « nouveaux » sont produits chaque année qui n’ont de nouveau que le nom), de la langue de porc à la listériose, et des fromages à l’escherichia coli qui vous guériront, définitivement ou provisoirement, de votre constipation chronique. C’est-y pas beau, tout ça !

Tout jeune, je fus suivi par un médecin homéopathe, ami de mes parents. En me regardant, en m’auscultant, comme il regardait et auscultait mon frère et ma sœur, il avait dit à mes parents : « Celui-ci, il faut le suivre… La tuberculose le guette ! »

Il est vrai que ma grand’ mère en était morte et que mon père en avait été atteint. Mais voilà bien que cet oiseau de malheur avait dit vrai. J’en fus touché à mon tour alors que mon frère et ma sœur y échappaient. Je fus soigné par ces petites pilules rondes et sucrées. Je me couchais un mois de novembre et me relevais six mois plus tard, guéri. Ma cousine fut elle-aussi atteinte par cette maladie. Elle se coucha quand je me couchais et se releva quand je me relevais. Elle avait été soignée de façon plus traditionnelle, aujourd’hui industrielle, j’entends par allopathie. La facture était différente. Le résultat semblable… Allez donc y comprendre quelque chose !

Il est vrai que l’industrie médicale a fait d’immense progrès… dans le montant des factures. C’est gratuit, vous êtes assuré social, c’est gratuit. Pas tout à fait ! Regardez attentivement votre fiche de paye, regardez ce que vous laissez à la Sécu en maladie, en CSG, en RDS, à la mutuelle, en dette pour vos enfants, vos petits-enfants, et plus loin encore (la Sécu ne suit plus) et vous verrez ce que vous versez à l’industrie pharmaceutique, indirectement, chaque mois !

L’industrie pharmaceutique se porte bien, très bien. De temps en temps, elle vous sort une bonne petite épidémie de derrière les fagots pour écouler ses stocks et relancer sa production. Regardez la grippe mexicaine, avec son grand chapeau, sa peau basanée, son air de rien et sa guitare sous le bras. Quelle belle campagne d’intoxication… des cerveaux. Même les politiques semblent y croire. On n’imaginerait pas qu’ils s’en soient fait les mentors, quoique… Bernard Kouchner s’était bien fait le représentant de la vaccination contre l’hépatite B, une campagne douteuse aux accidents nombreux. Un sac de riz sur l’épaule fait moins de dégâts, non ? Même s’il n’est pas distribué à ceux qui en ont besoin. Au moins, cela rassure à défaut d’effrayer.

Il est vrai que la peur est un joli marché. Les français sont des lemmings, ai-je déjà affirmé. De quoi ont-ils peur ? on ne sait ! On les voit soudain courir vers la grève, queue de l’un au museau de l’autre, comme devant les caisses des supermarchés, les urgences des hôpitaux ou les comptoirs des pharmaciens, se précipiter dans la mer et s’y noyer, jusqu’au dernier.

Quitte à me noyer, autant que ce soit dans le dernier verre. Entre le pineau d’Aunis et le Flavix, je n’ai pas d’hésitation : Rémy, un pineau ! et sans jeu de maux, s’il te plaît !

Patrice Bérard, juin 2009

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