Le Café Littéraire de la Terrasse se devait de rendre hommage à l'un des peintres emblématiques de Trôo, l'artiste François Estrada dont quelques œuvres figurent en bonne place au Musée de l'Art Brut à Lausanne, Fondation créée par Jean Dubuffet.
Seize œuvres à la vente ont ainsi été accrochées sur ses cimaises accompagnées d'une vingtaine de pièces représentatives de son travail sur ces trente dernières années, aimablement prêtées par des collectionneurs, et qu'ils en soient ici remerciés.
Max Fullenbaum, critique d'art, a prêté sa plume pour actualiser un article qu'il avait publié
il y a trois ans sur l'œuvre de François Estrada :
François Estrada écrit sa peinture, il l’écrit vite d’ailleurs pour capter l’instant précis de ce besoin d’écriture,
le moment où l’émotion vraie prend naissance et se propage avant de retomber. Il faut donc aller vite, se laisser envahir
par le trait avant même que la main ne soit la fidèle traductrice d’une pensée fugitive, aussi vite apparue que disparue.
Pas question dans ces moments de création de se perdre dans les détails. La forme se constitue pour le bienfait d’elle-même
dans la plus grande économie de moyens.
François Estrada voit sa peinture parce qu’il la vit ou parce qu’il l’a vécue. Ainsi naissent ces visages de
femmes hautaines aux lèvres quelquefois un rien dédaigneuses saisies sur le vif mais dont la chevelure devient
le prétexte d’un ornement abstrait en volutes où la virtuosité du peintre se fait à rebours, dans un temps second,
comme un commentaire du visage antérieurement capté, commentaire dont l’exubérance semble vouloir amoindrir la simplicité
du premier jet. Si la femme est ce visage lisse, elle dispose aussi en propre de cette couronne ornementale, signe de sa
royauté et de sa puissance.
Ce retour sur le sujet, sur le mémorable et le social, est également perceptible dans l’humour qui accompagne l’œuvre.
Il ne s’agit pas de dérision mais de tendresse souriante, qu’il soit question des trois grâces au milieu d’un amas de
voitures ou de musiciens jouant pour un parterre de fleurs, ou encore de bateaux voguant sur l’eau, le trait est rond sans
être incisif. Il s’en dégage une douceur rehaussée par une subtile gamme de couleurs apaisantes toujours accordées en
valeur aux traits qu’elles soutiennent. La peinture des fonds ponctue l’œuvre comme une musique en sourdine.
Certaines fois cependant, François Estrada abandonne les contours pour peindre directement, sans l’intervention préalable
d’un dessin généralement exécuté à l’encre de chine. Le sujet de ces tableaux, tel par exemple les pivoines, se développe
à plat comme un tissu avec une sûreté de construction et de placement exemplaires. Dans ces cas, l’œuvre n’existe que par
le travail du peintre et il est peu fréquent de voir la spontanéité des formes s’allier ainsi à la variété des couleurs et à la sûreté d’un trait qui n’est pas sans évoquer Matisse (voir le tableau en vente « à fleur de pot »).
Tous ces tableaux et principalement les visages féminins (plusieurs sont en vente) sont les icônes personnelles de François
Estrada et c’est peut être en raison de leur caractère sacré (voir le tableau en vente « lumière », un soleil noir),
ou du caractère sacré que prend pour François l’acte de créer, qu’il les donnait autrefois à ses amis sans contrepartie,
telle une vivante allégorie de l’amitié qu’il leur porte, dont on sait que la gratuité est l’élément essentiel,
gratuité qui a présidé, il y a longtemps, selon Georges Bataille, à la naissance de l’art dans d’autres caves troglodytiques
que celles de Trôo.
Max Fullenbaum
(28/4/2006- article revu et complété le 13/08/2009)
Il y a trois ans déjà que j’ai noté que « François Estrada écrit sa peinture ». J’ignorais qu’il allait me demander
de collaborer avec lui, en 2009, dans une œuvre commune où j’ai tenté, par empathie, de souligner avec mes mots
la générosité et la fantaisie de son travail.
Cette collaboration m’a permis de mesurer combien François Estrada est un innovateur de formes notamment dans ses
« Sculpeints » de plastique en trois dimensions (se reporter au « scooter » de la collection Alain Montillot ou à
« Esquif », œuvre proposée à la vente).
Cette faculté d’invention, à notre époque de redites et de photocopillages, est si rare qu’elle mérite d’être signalée.
Max Fullenbaum
(13/08/2009)