La fiscalité des oeuvres d'art
Café Littéraire de la Terrasse
Les galeries d'art
ou comment on massacre une profession


La fiscalité des Galeries d’art en France

Historique

Dans les années 1950, le marché de l’art en France représentait 80% du marché mondial de l’art. Soixante ans plus tard, il ne représente qu’à peine 7%.

Inconséquence des politiques publiques, amateurisme, clientélisme, népotisme, prédations diverses ont eu raison de ce marché, de celui-ci et de bien d’autres, ouvrant large les portes à la concurrence dans des domaines où elle n’existait pas.

Un rappel des causes de la dégradation progressive de ce marché particulier au cours de ces cinquante dernières années est édifiant. J’ai vécu les dernières années de la période florissante puis celles de sa dégradation progressive. En voici un bref résumé.

Dans les années ’60, le marché de l’art était très différent de celui que l’on connaît aujourd’hui. La fiscalité était une fiscalité d’avant la mise en place généralisée de la TVA qu’instaura Giscard d’Estaing. Les œuvres d’art comme le reste du commerce de détail d’ailleurs, était taxé à 2,8% que l’on appelait « taxe locale », une taxe payée sur le prix de vente des marchandises et passée en charge. Elle privilégiait les circuits courts. Etant assez légère, toutes proportions gardées, elle n’était pas regardée comme un frein à ce marché. A cette taxe s’ajoutait une contribution à la Maison des Artistes de la Rue Berryer à Paris, officine douteuse – nous y reviendrons plus loin – assez légère si mes souvenirs sont bons et de l’ordre de 0,8% du chiffre d’affaires. C’était supportable.

C’est en 1967 que je débutais dans le milieu de l’expertise comptable et l’un de mes premiers clients fut la Galerie René Drouet à Paris.

La Galerie René Drouet était tenue par Madame Sylvia Blatas, la femme du peintre et sculpteur Arbit Blatas. Elle était peintre elle-même mais avait abandonné les pinceaux pour se consacrer aux artistes. Née aux Etats-Unis, elle avait fréquenté tout une partie du milieu intellectuel new-yorkais. Nommée Générale civile après guerre, elle s’était occupée à Paris des réfugiés rescapés des camps de la mort. Son mari, Arbit Blatas était un peintre de l’Ecole de Paris. C’est lui qui fit don, au mémorial juif de la Rue Geoffroy l’Asnier à Paris, des bas-reliefs du cylindre de bronze qui se trouve sur le parvis, monument dédié aux victimes de la Shoa. Il offrit un second exemplaire de ces bas-reliefs qui sont exposés dans le quartier du ghetto de Venise.

A cette époque donc, les galeries procédaient à deux types de ventes : les grosses pièces pour lesquelles leur rôle consistait principalement à mettre en présence un vendeur et un acheteur potentiel. Leur commission, suivant la valeur de l’œuvre, était fluctuante : pour les très grosses pièces, elles excédaient rarement 2% de la valeur des œuvres pour se stabiliser aux environs de 5% pour les pièces de moindre prix. Je vis aussi bien se négocier à ces tarifs un Zurbaran que des œuvres des grands peintres du début du vingtième siècle. Ces rémunérations suffisaient pour faire fonctionner la galerie et financer les expositions des jeunes peintres qu’elle soutenait, dépensant parfois sans compter. Car promouvoir l’œuvre d’un jeune artiste coûte bien souvent plus que cela ne rapporte. Mais… cela n’avait aucune importance, je le souligne, aucune importance, et qu’il s’agisse de jeunes artistes ou de plus anciens comme Osip Zadkine ou Bela Czobel. Promouvoir les œuvres des uns, perpétrer la mémoire des autres, telles étaient les missions que les galeries, dans leur grande majorité, accomplissaient.

La douteuse Maison des Artistes était doté, en ce temps-là, d’un douteux gestionnaire qui ne put résister à l’attrait du magot qui s’accumulait dans ses caisses. Il fit ce que certains forbans font maintenant d’ordinaire mais sans être inquiétés : il les vida et s’enfuit car à l’époque on risquait tout de même gros à piller sans changer le plus rapidement possible de pays.

Sans sourciller, puisqu’il fallait renflouer les caisses, la Maison des Artistes, en fait l’URSSAF qui en prit totalement les rennes, fit porter le taux de la cotisation due par les galeries sur leur chiffre d’affaires à 3,8% ! Ceci précisé que les officines des commissaires priseurs en étaient exonérées depuis toujours. A ce tarif, les galeries d’art ne pouvaient plus travailler. Il leur fallait soit de gros moyens, ce qu’elles n’avaient pas en général, pour acquérir les œuvres et les stocker, soit se démettre.

La phynance, au sens de Père Ubu, s’y engouffra. La Banque de la Cité finança les achats de certaines nouvelles galeries, conservant les œuvres dans ses coffres et réclamant 50% des profits réalisés lors des ventes. Le marché de l’art devint spéculatif, principalement spéculatif, et il advint ce qui arrive toujours avec ce type de marché. Cela fonctionne pendant quelques années et puis un jour, les cours, artificiellement gonflés, s’effondrent. Panique à bord. La Banque de la Cité fut mise en responsabilité. Elle avait avancé des fonds à tort et à travers à ces nouveaux galeristes, vénaux et incultes, qui s’étaient engouffrés dans ce réseau fragile. Leurs voitures de luxe, payées avec les fonds de la banque comme les ors et les pierres dont leurs doigts étincelaient avaient agi comme des miroirs aux alouettes et les banquiers s’y étaient laissé prendre. La BNP hérita des comptes qui fonctionnaient encore et les contribuables des dettes de la banque comme celles, sur la marché spéculatif foncier, du Crédit Lyonnais et comme ils hériteraient plus tard des dettes d’autres banques encore, dettes contractées sur des marchés pourris. Les mêmes causes produisent les mêmes effets…

Le marché de l’art se transformait. Il y avait d’une part les galeries traditionnelles comme la Galerie René Drouet qui essayaient de survivre malgré la concurrence des salles de vente qui n’étaient pas astreintes au paiement de la contribution à la Maison des Artistes et malgré les banques. Pression du marché, concurrence déloyale, il n’en faut pas plus pour désorganiser un marché fragile.

Car les salles de vente ne sont pas des galeries et elles ne font pas le travail des galeries. Elles vendent et encaissent au passage, quand elles ne fabriquent pas artificiellement des cotes, quand elles ne donnent pas de vrais passeports à des faux patents, quand elles ne trempent pas dans des opérations douteuses ou frauduleuses. Quelques commissaires-priseurs et quelques experts l’apprirent à leur dépend et se retrouvèrent derrière les barreaux. Il n'empêche. Cela fait désordre et l'amateur ne s'y retrouve plus. Il déserte les galeries.

Pendant ce temps, Londres et New-York se dotaient des moyens sociaux et fiscaux pour récupérer cet immense marché spéculatif car il ne concerne pas que l’art. Les petites maisons comme Christie’s et Sotheby’s passèrent au stade supérieur, les galeries fleurirent un peu partout au monde, diluant le marché, le banalisant. On n’achète plus un tableau, une sculpture pour le plaisir qu’ils procurent, le questionnement qu’ils posent, mais pour sa cote.

On oublie trop souvent que les jeunes artistes ont besoin des galeries. On oublie que Paris fut à diverses reprises l’aimant qui attira de talentueux artistes aux dix-neuvième et vingtième siècles, des Van Gogh, Picasso, Modigliani, Soutine, Chagall, Vasarely, et tant d’autres, innombrables et remarquables, venus de l’Europe entière. Sans ce support, point d’artistes ou bien ils vont ailleurs, là où ils peuvent s’exprimer et s’ils ne le peuvent pas, ils ne s’expriment plus ! Les dégâts collatéraux sont donc démesurés.

Un François Pinault marchand de draps ne remplacera jamais le moindre des galeristes des années ’60. S’occuper d’art et d’artistes ne se limite pas à « faire du fric » avec des joujoux en matière plastique. Amateur d’art, collectionneur, dit-on de lui… non  ! Amateur d’or et âne bâté en matière d’art mais caressé dans le sens du poil par les ministres français tout aussi bornés et incultes que lui.

La Phynance donc, l’appétit du Louvre plus tard déplacé à Bercy et celui de l’URSSAF, le droit de préemption de l’Etat utilisé parfois de manière abusive (voir à ce sujet l'article de la Gazette Drouot), le culte du patrimoine, eurent raison de ce marché. On ne le laissait pas partir. On le jetait à la porte.

Contrairement à ce qui se passe dans bien des pays au monde, les musées nationaux n’ont pas le droit de vendre. Ils peuvent accumuler jusqu’à la déraison mais non point se défaire. Les caves du Louvre regorgent de trésors autant que d’œuvres mineures ou de faux, trésors que nous n’aurons jamais l’heur d’admirer tant leurs caves sont bourrées, de faux et d’œuvres mineures achetés imprudemment par la flopée de conservateurs et de ministres ignares qui se sont succédés à leur tête ou au pouvoir, dilapidant ainsi l’argent des contribuables pour une gloire éphémère, celle d’avoir enrichi le patrimoine national alors qu’ils se sont fait tout simplement berner. Népotisme, pauvreté d’esprit et petits arrangements font mauvais ménage avec l’art.

Paris, par exemple, n’a pas voulu du musée de l’Art Brut que voulait lui offrir Jean Dubuffet. On ne mélange pas Leonardo da Vinci avec François Estrada ! Je dis bien offrir car Jean Dubuffet ne voulait rien en échange. Eh bien, la ville de Lausanne l’accueillit à bras ouvert. Cela se passait en 1971. Et cette date sonnait déjà le début de la fin.

Autant dire que, pour le professionnel français de l’art aujourd’hui, naviguer dans ce monde devient comme naviguer par gros temps sans boussole, la voile déchirée et avec un seul aviron prêt à se rompre.


Retour à la fiscalité des galeries d'art

Retour au menu principal