Exemple 8 - De quelques figures de rhétorique
Café Littéraire de la Terrasse - L'atelier d'écriture

L'absence de verbes conjugués

Maximes et proverbes se caractérisent, entre autres, par la concision, l’inversion, la métaphore, la parisose. Le parangon de ces maximes se résume en la formule lapidaire, Noël au balcon, Pâques aux tisons. Noël et Pâques sont des fêtes carillonnées qui se situent au solstice pour la première, à l’équinoxe pour la seconde, le balcon est une métaphore pour « chaleur à l’extérieur », les tisons pour « chaleur à l’intérieur » qui emporte « froidure à l’extérieur » ; enfin, balcon rime avec tisons (parisose).
Les formules lapidaires en deux parties (en asyndète) sont bien souvent exemptes de verbes conjugués.
Le travail demandé est l’écriture d’un texte comportant le moins de verbes conjugués possible.

Sujet proposé : Un homme ou une femme, retrouvent la rue dans laquelle il ou elle ont passé les premières années de leur vie et se souviennent de la petite voisine ou du petit voisin, fille ou fils de l’épicier arabe.

Texte proposé par l'animateur
Trouver son chemin dans une ville devenue étrangère, trop lointaine dans le temps comme dans l’espace, errer dans ce vieux quartier défiguré, maisons anciennes jouxtant des immeubles en béton, d’un gris bien sale, dégoulinades noirâtres à l’angle des fenêtres et des balcons, des balcons surtout, enfin, balcons.. espaces pour jardinières, de la largeur d’un balai, sans plus, d’un coup dépoussiérés, balustres en alu, bien droites, bien raides, barreaux serrés, prisons-barreaux pour bambins intrépides. Errer dans ces rues tristes, dépeuplées d’âmes ouvrières et ouvrieuses, plus de « Salut Georges », « Salut Raymond », « Alors, Germaine » lancés à tue-tête d’un trottoir à l’autre, rien que des visages sans nom, sans sourire, ternes, pressés, gloussant certains dans l’appareil tenu entre bec et oreille des « Outé ? outai ? ».. Quelques magasins, ici des fringues, là une banque, plus loin des fringues, là des jouets, un caviste aux prix démesurés, bouteilles pour touristes, pas pour clodos, plus de clodos, absents, disparus ceux de son enfance, des vrais, libres exclus, libres sangsues, puants, barbe en broussaille, trognes rouge-violacé, saluant « Bonjour mon Prince. Une petite pièce, pour boire un coup, à ta santé, Mon Prince, à ta santé, une petite pièce.. » Rien, plus rien que le vide empli de vide ; pas un signe de cette rue cherchée désespérément, une bouffée de souvenirs mais plus rien qui y ressemble.
Soudain, après combien de détours, là, en face, la maison, la sienne, un petit immeuble, repeint de pas trop frais. En dessous, un cabinet d’assurances, dans l’ancienne boutique de l’épicier de son enfance. S’en approcher, humer l’air environnant.. Poussière, rien que poussière. Loin les odeurs de safran, de curry, de poivres, de harengs, des vieux poêles à charbon, de pipes, de gauloises, de sueur.. Odeurs anonymes, bitume pisseux badigeonné de merde, la même odeur, partout dans la ville, pas un endroit se distinguant d’un autre.
Bouffées de mémoire ; la fille de l’épicier, du même âge que lui, six ans, sept ans, aux cheveux longs, flottants, défaits, à la peau étrangement blanche et aux grands yeux d’un brun très clair, doré. Jouer dans l’escalier, se raconter des histoires, des histoires de fantômes, de brigands, de magiciens, des histoires à rester assis pendant des heures.. Et puis le premier baiser, chaste, court, une fois, pas deux, du bout des lèvres et lèvres à lèvres, celui de l’adieu, à la dernière minute, tous paquets faits et embarqués, un baiser inoubliable, corps tremblant, cœur battant, éclosion sourde au fond de la poitrine, mains soudainement moites, rougeur éclaboussant les joues, la surprise, l’étonnante surprise, la fabuleuse surprise, au dernier instant, au dernier instant de la dernière seconde.. Et puis, et puis le départ, les yeux gros de larmes, la gorge nouée, l’envie de pipi.. Adieu quartier, adieu amie jolie, adieu contes et fariboles, adieu Monsieur l’épicier aux senteurs de soleil et à l’accent du lointain.
De tout cela, rien, si, énorme, chassé, recouvert d’un manteau de ciment et d’asphalte, de poussière et de crasse, à peine reconnaissable, terne, terme de la quête, quête vouée à l’absence, au silence, à l’oubli du présent, à l’anamnèse, la seule comptant désormais.

Le prochain atelier se tiendra le 24 mai sur le fil principal et les fils secondaires.

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