Vocabulaire du bruit, de la voix et de la parole
Café Littéraire de la Terrasse - L'atelier d'écriture

Vocabulaire du bruit, de la voix et de la parole

Les langues, toutes, possèdent une réelle richesse de vocabulaire. À l’écriture d’un texte, il s’agit, non pas de trouver un synonyme à un mot que l’on a déjà employé, mais déjà le bon mot, celui qui s’approche le plus de l’image que l’on veut rapporter, quitte à le réutiliser plus loin.

Un corpus de près de quatre cents mots extraits du Littré a été remis à chaque participant concernant exclusivement le vocabulaire du bruit, de la voix et de la parole. En réception, à l’écoute ou l’entente, le français ne possède pas plus de cinq verbes, et encore… en ratissant large. En émission de la parole, le français en compte plus de deux cent trente, dont seuls quelques uns, rares, sont tombés en désuétude. Le choix du mot précis, ou l’usage détourné de mots dévolus aux bruits, aux cris, au chant, permet d’introduire le lecteur dans un monde qui n’est pas fait que d’images, d’actions ou de dialogues. On peut ajouter le son, la saveur, le parfum.

Il a été demandé aux participants d’écrire un texte privilégiant principalement les sensations auditives, et, éventuellement, olfactives ou gustatives.

Textes proposés par l’animateur

Dériver

Il n’eut pas le temps de regretter d’avoir accepté ce huitième verre de cette huitième tournée, au bistrot du coin où l’on fêtait le début des vacances. Il se sentit partir en arrière, son dos butta contre le dossier de sa chaise, il s’agrippa à la table mais ses doigts n’en pouvait retenir le tangage. Il les laissa filer et tomber sur ses cuisses. Il essaya de prononcer un mot, mais le mot resta coincé dans son gosier, calé derrière sa langue épaisse, poisseuse, collante. D’ailleurs ce mot qui ne voulait pas sortir était sans doute déjà rentré dans sa tanière, avait passé dans son œsophage ou bien dans ses poumons et tousser ne l’en délogerait pas. Vomir non plus… Sa chaise commença de tanguer. le bistrot prenait de la gîte et il lui fallut se cramponner à son siège pour ne pas tomber. Il avait essuyé déjà de multiples tempêtes. Celle-ci s’annonçait terrible. Il ferait face. Le vent soufflait dans les drisses et les faisait claquer contre le mât de tôle et d’acier. Les voiles faseyaient, gonflées à craquer, et la houle donnait des coups de boutoir contre la coque, des coups violents dont chacun résonnait dans son crâne en y laissant des marques bleues et violettes. Les rires des sirènes, mêlés aux vociférations des marins et amplifiés par le vent, pénétraient en masse dans le pavillon de ses oreilles, en suivaient les circonvolutions, des rires tranchants, perçants, coupants, qui lui tailladaient douloureusement les tympans tandis que sous le pont les nègres enchaînés, hurlant de peur et d’effroi, dans le cliquetis de leurs chaînes, tambourinaient frénétiquement sur la porte et les parois de leurs cellules pour qu’on les fît sortir. Une vague plus forte que les autres franchit le bastingage. Il n’eut pas le temps de reculer ; en un instant, il fut trempé. C’est à ce moment qu’un trou se fit jour dans son brouillard. Tous étaient penchés sur lui : « Ça va ? » lui demandait l’un, « Regarde, il est tout blanc » constatait une autre, « eh ! s’exclama un dernier, le cochon ! il s’est pissé dessus ! »

Farniente

Le soleil, se réfléchissant sur les pages blanches du livre qu’il tenait à la main, brûlait ses yeux. Il les ferma un instant afin de les reposer. Déplacer sa chaise longue afin qu’il se trouvât à l’ombre aurait exigé de lui un effort qu’il n’était prêt à accomplir. Il se laissa bercer par les effluves de la fin de la journée, les parfums de lavande, les fragrances de la viorne, les senteurs d’iode et de sel, et cette odeur si particulière, minérale, du sable surchauffé par le soleil. Un coup de vent fit frissonner l’érable sous lequel s’étalait l’ombre, franchit la haie d’ormeaux et se perdit dans les herbes hautes. Les cris lointains des enfants jouant sur la plage lui rappelaient son enfance lorsque, cloué au lit, il entendait ceux de ses petits camarades se bousculant dans la cour de récréation, saveur sans pareille du repos. Une mouche se posa sa joue puis elle trottina en direction de ses lèvres. Il la chassa d’un revers de la main, mais d’un claquement d’ailes, elle vint se reposer sur son front, sauta sur ses yeux. Il la chassa à nouveau de gestes frénétiques de tout son corps, redoutant qu’elle se posât sur son cou, ses bras ou ses jambes nus. Il n’en fut rien. Il relâcha ses muscles et laissa sa main retomber lourdement sur sa poitrine. Une mouette criait au loin. Quelques oiseaux pépiaient, se poursuivant entre les branches de l’érable dans un froissement d’ailes, de plumes et de feuilles. Une goutte tomba soudain sur l’arête de son nez. Il crut que l’un de ces oiseaux venait de se délester dans son vol, mais une deuxième goutte, puis une troisième, puis d’innombrables, en éclatant sur lui, le firent changer d’avis. Prestement il se leva, replia sa chaise longue et courut se protéger sous la véranda. Aux cris de joie des enfants s’étaient substitués ceux de leur fuite et les appels de leurs parents qui les pressaient de les rejoindre sous l’abri. Puis ils s’éteignirent. Seul subsistait le bruit de la pluie tombant drue, tambourinant contre les carreaux et allant jusqu’à faire crisser le gravier. L’air embué se chargea d’une odeur de poudre à canon. Puis comme elle était venue, la pluie cessa. Le soleil revint à pas timides, feutrés, puis lourds. Il replaça son transat à l’endroit même où il se trouvait un instant auparavant. Il s’y assit, rouvrit son livre et s’y replongea.

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