Le Café littéraire de la Terrasse

Thèmes universels des contes, légendes, mythes

Désigner un objet par une expression qui lui correspondrait,
non au figuré mais au propre,
nécessiterait la connaissance de l’essence même de cet objet,
ce qui est impossible,
puisque nous ne pouvons connaître que les phénomènes,
non les choses en soi.

Michel Leiris, in Brisées.

Notes pour la conférence du 13 décembre 2008, par Patrice Bérard

I – SITUATION DES CONTES, FABLES ET LÉGENDES

1 - Cerveau droit et cerveau gauche

Le cerveau est un organe complexe, divisé en deux hémisphères spécialisés qui travaillent en commun. L’hémisphère gauche est spécialisé dans l’entendement et la production de langage, avec des aires particulières dédiées à la production, zone temporale dite de Broca, à l’entendement et au stockage du lexique, zone latérale postérieure dite de Wernicke et une zone, jouxtant cette dernière, dévolue à la syntaxe (aire de Pick). Ces deux zones sont reliées par un gros réseau de nerfs appelé le faisceau arqué.
Si le cerveau gauche participe principalement du langage, le cerveau droit y a donc aussi sa part. Il traite la prosodie, les tons, et la part imagée du langage. Cette dernière n’apparaît pas avant que l’enfant a atteint six ans. L’enfant de moins de six ans appréhende tout ce qui lui est dit au premier degré seulement, au sens littéral et non au sens figuré. De la même façon, une lésion dans cette partie du cerveau droit interdira au cérébrolésé de comprendre une phrase émise au second degré.
Ainsi, en français, la phrase Arthur a le cœur gros, ne signifie pas qu’Arthur a un gros cœur, mais qu’il est triste. Un cérébrolésé droit, un enfant de moins de six ans, comprennent le message au premier degré seulement, il a un cœur de grande dimension et non au deuxième, il est triste.

2 – Double sens, sens littéral, sens figuré, métaphores et comparaisons

Le langage, les langues, utilisent volontiers des tournures imagées, des phrases à double, voire à triple, quadruple ou quintuple sens. Ainsi les langues polynésiennes mais aussi l’initiation qui préside à la connaissance de ces sens multiples. Dans la comparaison ou dans la métaphore, on trouve des phrases elliptiques où le sens réel n’est pas donné.
Ainsi la phrase : Arthur mange comme un cochon est une phrase qui signifie Arthur mange salement. La phrase ne comprend pas ce qui est réellement signifié puisque le mot salement n’est pas prononcé. C’est le mot cochon qui y fait référence ou qui le remplace. Un cochon est réputé manger salement. Pourtant, nous comprenons directement la phrase comme étant Arthur mange salement. La comparaison a besoin, pour exister pleinement, de deux termes différents : le terme comparé, ici Arthur, et le point de comparaison, ici un cochon. Je peux dire : Arthur est grand comme une montagne, fort comme un turc et solide comme le roc. Je ne peux pas dire, Arthur est grand comme Arthur, fort comme Arthur et solide comme Arthur. Cela n’aurait pas de sens. Il faut un deuxième terme, dans la comparaison, différent du premier.
Arthur, donc, dans la phrase, Arthur mange comme un cochon, n’est pas un cochon, il ne peut pas être un cochon. Mais il se comporte comme un cochon.
Par contre, la phrase Arthur est un cochon possède une ambiguïté. Arthur peut être effectivement le nom d’un cochon. C’est un vrai cochon auquel il a été donné un nom, Arthur. Ou bien Arthur peut être un être humain, un chien ou un chat, qu’importe.
En disant Arthur est un cochon, je ne dis pas qu’il se comporte comme un cochon, car se comporter comme un cochon n’est pas dans la phrase. Se comporter comme un cochon ménage une distance et une dualité. Il y aurait Arthur d’un côté et le cochon de l’autre.
La métaphore et la phrase au premier degré sont identiques. Arthur est un cochon, qu’on le veuille ou non, qu’il soit vraiment un cochon, avec un groin et une queue en tire-bouchon, qu’il soit un être humain, ou un autre animal que le cochon lui-même.
Je peux d'ailleurs en ajouter. Je peux dire Arthur est un chameau, un cochon qui fait le pitre, un singe, une autruche qui ne veut pas voir la réalité et ainsi de suite...
Toutes les langues, que je sache, utilisent la comparaison et la métaphore.

3 – La femme et le bison

L’abbé Breuil (1877-1961) avait relevé, dans plusieurs cavernes ornées (l’art pariétal commence environ 30.000 ans avant notre ère), divers signes féminins associés au bison et des signes masculins associés aux chevaux.
André Leroi-Gourhan, plus tard, nuançait cette appréciation et écrivait, en parlant de la grotte des Trois-Frères : « Pour éviter d’interpréter une réalité aux limites incertaines, je me suis attaché à ne considérer comme associées que les figures qui sont superposées ou étroitement voisines. De cette double contrainte, il ressort, par exemple pour les panneaux centraux, qu’on peut enregistrer les combinaisons femme-bison, homme-femme-bison, bison-cheval, homme-cheval, homme-femme-bison-cheval, jusqu’à la combinaison homme-femme-bison-cheval-bouquetin-cerf. Faire de chaque combinaison une formule isolée est inexact en ce sens que dans nombre de cas où l’isolement assure une observation rigoureuse, la formule totale implique deux couples centraux (femme-homme et bison-cheval). »
Nos lointains ancêtres ont laissé, dans le fond de ces cavernes nombre de peintures et de gravures. Il s’agit d’un premier transport ou transfert par lequel on signe encore, en Mélanésie par exemple, un événement d’une façon compréhensible par le groupe en vue de son rappel.
Les magdaléniens y ont représenté majoritairement des animaux accompagnés de signes dont certains ne peuvent être déchiffrés. Mais ces animaux, qui sont déjà transférés car il ne s’agit pas d’animaux réels, ne sont-ils pas l’objet d’autres transferts chez nos lointains ancêtres ? Rien ne dit en effet que ces bisons ne sont pas des femmes et ces chevaux des hommes, ou des groupes de femmes ou d’hommes. Pour qu’un premier transfert existe, celui lié à la peinture d’un animal ou tout autre signe peint ou gravé, il faut que la métaphore existe. La carte, comme on dit, n’est pas le territoire. Le signe représente. Il est en représentation. Il associe quelque chose à quelque chose d’autre, il les lie, il les fusionne. Le bison peint n’est pas le bison vivant. Il le représente et en même temps il l’est car on le reconnaît.
Plus loin, toute phrase possède plusieurs sens et dont certains sont indépendants de la volonté de celui qui la profère.
Deux points doivent à présent retenir notre attention. Le totem et quelques définitions concernant les divers genres littéraires que nous allons aborder.

4 – Le totem

Le Totem est un mot indien (tribu Ojibwé de l’Ontario) désignant l’ancêtre mythique et éponyme d’un clan, animal ou végétal. Le mot a été étendu à l’animal, totémique, des aborigènes australiens. Le totem d’une personne, en Australie comme en Mélanésie, est non seulement l’animal qui la représente, mais l’animal qui fait corps avec elle. L’animal totem et la personne ne font qu'un. Il en résulte des interdits, dans la langue et dans la vie commune. On ne tue pas, on ne mange pas l’animal totémique, comme on ne se tue pas ou on ne se mange pas.
Le totem est comme le nom de la personne. Le nom de la personne, c’est la personne à la manière de la métaphore. C’est ainsi par exemple qu’en Nouvelle-Calédonie, le nom intime et personnel d’un jeune garçon lui est donné secrètement par son oncle maternel. C’est son seul vrai nom. Les autres noms, ceux qui lui ont été donnés à sa naissance sont des noms importants, certes, car la propriété foncière y est attachée, mais ils ne sont pas son vrai nom. Son nom véritable, n’est connu que de lui-même et de son oncle maternel. Ainsi, personne ne peut l’atteindre par la magie noire, car personne ne connaît son véritable nom. Signalons qu’en France, c’étaient le parrain du tout jeune garçon ou la marraine de la toute jeune fille qui leur donnaient leur prénom.

5 – Contes, fables, histoires, légendes, mythes, paraboles

La fable est un court récit, généralement en vers afin qu’il soit mémorisé, alors que le conte est plutôt en prose.
La fable, le conte, comme le proverbe, se situe hors du temps :
- Tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se casse…
- Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage…
- Il était une fois…
La légende est, le plus souvent, datée, même approximativement. Légendes et épopées se confondent bien souvent.
Le mythe conte les événements qui ont présidé à la création d’une lignée humaine ou de celles des dieux.
La parabole est un récit qui a une valeur explicative ou exemplaire. C’est une métaphore à elle-seule.
Aux sens latin et grec du terme historia, l’histoire est une information, un savoir en relation avec la recherche de la vérité.
Les fables, telles qu’on peut les lire sous la plume de Jean de la Fontaine, sont issues des fables d’Ésope (milieu du 6ème siècle avant notre ère). Les fables d'Esope furent traduites pour la première fois en français par Walter l’anglais vers 1175 et parurent sous le nom d’Isopet accompagnées d’autres fables dues à un auteur latin, Avianus.
D'un autre côté, les fables de Phèdre, un auteur latin, furent recopiées jusqu’à l’époque de Charlemagne, puis remaniées par divers auteurs, dont un certain Romulus. Elles connurent un grand succès puisqu'elles furent remaniées, mises en vers latin, traduites en anglais, et reprises enfin en français par Marie de France.
Les fables ou contes sont présents dans toutes les communautés humaines. Seule la forme change mais le fond demeure.

6 – Animaux privilégiés des métaphores des fables, contes, proverbes et légendes en Europe

Les animaux sont utilisés prioritairement dans les récits pour les particularités physiques ou morales qu’on leur accorde.
Les oiseaux
Plus spécifiquement accordées aux femmes :
La dinde, la pie, la bécasse, la poule, la grisette, la caille, la colombe, la linotte, l’oie (blanche), la grue
Plus spécifiquement accordées aux hommes :
Le dindon, le pigeon, le coq, le poulet, le faisan, les perdreaux (ou les hirondelles), l’étourneau, la mauviette, le perroquet, le butor, le serin, le vautour, le paon, le pinson, l’aigle, l’épervier
S’appliquant aux deux sexes :
l’autruche, la linotte, la dupe (la huppe), le corbeau, la buse

Les mammifères Le loup (la louve), le chien (la chienne), le renard, l’ours, l’agneau, les moutons (les brebis), la chèvre, la vache, le blaireau, le chameau, le cochon, le porc, la truie, la coche, l’âne, la mule, les veaux, les bœufs, le rat, la souris, le singe, le babouin, la biche, le chacal, la gazelle, le lapin, le lion, la lionne, le matou, la taupe, la marmotte (le marmot), l’ouaille (brebis), la brebis (galeuse), le cheval (un mauvais..), la jument, la girafe, l’éléphant, etc..

Les poissons et les habitants des mers et des rivières
La morue, la carpe (muet comme..), l’anguille, le requin, le merlan (coiffeur), le maquereau, le dauphin, l’huître, la tortue, le crabe (un panier de..)

Les animaux fantastiques
Le dragon (équivalent de l’ogre)
Les reptiles
Le serpent, (voir s’il n’y a pas un lézard là-dessous), la couleuvre, la vipère

Les insectes
La vermine, la fourmi, la sauterelle, le moustique, la punaise, la guêpe (une taille de), le cancrelat, le cafard, le papillon, le cloporte, la mouche, le moucheron, la teigne

7 – Autres
Végétaux privilégiés
Pomme, poire, chêne

Minéraux privilégiés (et métaux)
Roc, pierre, diamant, fer, acier

Astres et dieux, nationalités diverses
beau comme un astre, comme un dieu (aster, stella, proviennent du nom d’une déesse sumérienne, Ishtar, comme deus et dieu proviennent du nom grec du dieu Zeus) être dans la lune
turc (fort comme…, tête de…)
bougre (bulgare, équivalent de renégat ou apostat)

8 – Structure générale des contes, fables et légendes

Le conte, la fable ou la légende commencent bien souvent par un manque, le manque entraîne la quête ou le déplacement ; à l’issue de la quête, la fin est soit heureuse, soit malheureuse.
Un même conte peut avoir une fin heureuse ici, et malheureuse là.
Ils sont l’illustration d’un véritable code de conduite à destination, soit d’enfants, soit d’adolescents, soit encore d’adultes.

9 – Icônes et thèmes

L’alliance
L’alliance est interne avec les maternels, externe avec les autres clans. L’alliance se constitue soit par le don, soit de façon privilégiée par les femmes, mobiles, avec les hommes fixés aux clans auxquels ils appartiennent. La femme apporte les techniques du clan dont elle provient. L’alliance par les femmes existe dans toutes les contrées et à toutes les époques (moins à la nôtre), mais dans un passé encore récent, Louis XVI (France) et Marie-Antoinette (Autriche) par exemple. Lorsque rien ne va plus, la femme retourne, avec ses enfants, vers les maternels.

Couples opposés ou complémentaires
L’aîné et le cadet

En France, dans une lignée de garçons (bonheur), étaient privilégiés l’aîné, le septième et le douzième enfants (thèmes cosmiques basés sur la semaine et l'année de douze lunes). Le septième était censé être le plus rusé et posséder des pouvoirs particuliers : guérir des écrouelles (tuméfaction des glandes du cou) et recevoir des sorciers leurs secrets. Dans le conte de Perrault, le Petit Poucet est le septième d’une lignée de garçons. S’il s’agit de filles : malheur ! Quant à la septième, elle a les mêmes pouvoirs que le garçon, mais non pas pour guérir, mais pour tuer ou rendre malade. Dans le conte de la Belle au bois dormant, la septième fée, celle à laquelle il n’est pas donné de couverts en or massif (il n’y en a plus, elle est la dernière arrivée au berceau du nouveau-né) lui prédit qu’elle se piquera avec un fuseau et qu’elle en mourra. Elle n'en mourra pas mais dormira cent ans grâce à l'intervention de l'une des fées présentes à son berceau.

L’homme et la femme<
L’homme est fixe (immobile), alors que la femme est mobile.
Sont utilisées comme métaphores concernant les hommes et les femmes :
- Les arbres endémiques face aux arbres nouvellement introduits
- Les animaux endémiques face aux animaux nouvellement introduits.
Tout ce qui est fixe représente l’homme (rochers, etc..), tout ce qui est mobile représente la femme, l’oiseau par exemple mais ceci n’est pas systématique. Il faut toujours regarder ce qui y est associé.

L’aîné, le cadet et l’avorton
L’aîné a toujours la préséance. C’est lui qui hérite des traditions secrètes (les mythes fondateurs du clan) ainsi que des terres. Le petit dernier, celui qui passe après tous les autres, l’avorton (le Petit Poucet, né gros comme le pouce) est doté de pouvoirs particuliers : il est le héros civilisateur, le magicien, le garçon le plus intelligent de la lignée. N’ayant rien, il a tout pour se séparer du groupe et fonder de nouveaux clans, ou pour sauver le groupe auquel il appartient.

Le bord de mer et l’intérieur des terres
L’intérieur des terres représente la stabilité, les populations implantées de longue date ; les bords de mer, ou les animaux des airs, la mobilité, les femmes ou bien encore les populations récemment installées.

Le jour, la nuit, la semaine et le mois
Lorsque le récit court sur plusieurs jours, chaque journée constitue un épisode et chaque nuit le clôt. La nuit est aussi le moment privilégié des transformations et métamorphoses (loup-garou et vampires). De nombreuses références aux chiffres de la semaine et du mois sont effectuées dans les traditions indo-européenne et orientale.

La bouche et l’anus
Le repas pris en commun représente l’alliance. Le repas pris de façon solitaire, la mésalliance ou la séparation. Le vocabulaire de l’acte sexuel intègre le vocabulaire de l’acte de manger dans la totalité des langues que j’ai été amené à étudier. En français, nous avons consommer le mariage, dévorer des yeux, etc.. Le vocabulaire de la parole passe aussi par l’acte de manger et plus généralement par celui de manger de la viande lorsqu’il existe plusieurs mots pour le distinguer de l’acte de manger des céréales ou des féculents. Aller déféquer, aller uriner, c’est se séparer du groupe. Va chier, ou tu me fais chier peut-on entendre en français familier comme marque de désaccord, de rupture.

Ogres et enfants
Les ogres sont représentatifs d’anciens groupes guerriers sans alliance. Dans un récit particulièrement ancien, l’épopée de Gilgamesh (vers –2650), ce dernier, roi d’Uruk, va socialiser celui qui deviendra son ami et qui est doté d’une force fabuleuse, Enkidu, en lui envoyant une femme en ambassadrice qui devra se baigner, nue, dans l’aiguade que garde Enkidu. Enkidu terrorise en effet un chasseur à qui il détruit les pièges destinés à attraper les animaux. Enkidu fait l’amour à la courtisane pendant six jours et sept nuits et se retrouve à la cour de Gilgamesh.

Animaux par couples
On associe les animaux par couple possédant des caractéristiques inverses :
Lièvre (vitesse) et tortue (lenteur)
Lion (force) et moucheron (faiblesse) ; ainsi, l’éléphant et la souris
Loups (prédateurs libres) et chiens (mangeurs de restes ou de cadavres et asservis)
Loups (carnivores) et brebis (herbivores)

Lorsque des peuples possédant des systèmes sociaux, culturels ou religieux différents se rencontrent par la voie du commerce, de l'échange, de la colonisation ou de la guerre, et qu'ils cohabitent, il se produit une fusion partielle ou totale entre ces systèmes. C’est ce que l’on appelle le syncrétisme.

Animaux et culte des saints
Jésus Christ et l’agneau
Sainte Agnès et l’agneau (par analogie des noms)
Saint Antoine de Padoue et la brebis (bien souvent aussi avec le loup)
Saint Loup patron des brebis
Saint Julien l’Hospitalier et le cerf (qui lui prédit qu’il tuera son père et sa mère)
Saint Rieule (Senlis), le cerf et la biche
Saint Eustache et le cerf portant la croix entre ses bois (Jésus-Christ)
Saint Hubert et le cerf portant la croix entre ses bois, saint Hubert et le chien
Saints soldats et le cheval (saint Martin, saint Georges, saint Victor, saint Maurice)
Saint Yves et le chat
Saint Roch et le chien
Saint François d’Assise et la cigale
Saint Antoine et le cochon
Saint Pierre et le coq
Saint Vincent et le corbeau
Saint Paul (ermite) et le corbeau (ainsi saint Jérôme et le prophète Elie)
Saint Lucien de Syrie et le dauphin
Saint Georges et le dragon (ainsi, avec le dragon : saint Méen, saint Jouin, saint Julien du Mans, saint Marcel de Paris, sainte Marguerite, sainte Marthe, l’archange saint Michel, saint Pavace, sainte Vérande, saint Romain, saint Sylvestre (pape))
Sainte Ulphe et les grenouilles (ainsi saint Rieule et saint Ouen)
Saint Paul (ermite) et les lions qui, pour aider saint Antoine, creusent la tombe de saint Paul
Saint Gérasime et le lion (ainsi saint Sabas, saint Marc, sainte Thècle)
Saint Hervé et le loup (remplaçant l’âne pour porter les fardeaux, ainsi saint Mâlo)
Saint Blaise et le loup (saint Blaise qui fait rendre le cochon que le loup avait dérobé à une pauvre veuve) ; ainsi saint Hervé, saint Robert)
Saint Thomas d’Aquin et le mulet
Saint Waast et l’ours
Sainte Gudule et l’ours
Jésus-Christ et le poisson
Saint Corentin et le poisson
Sainte Gertrude et les poulets
Jour de la saint Jean, jour d’accidents (chutes et noyades). Saint Jean exige une victime, il ne sort jamais sans son poisson.

Cosmos et animaux
Signes du zodiaque liés aux animaux :
Grèce, Rome, Europe, Asie mineure :
Bélier, taureau, cancer, lion, scorpion, sagittaire, capricorne, poissons
Chine (mois lunaires)
Rat (souris), chaleureux
Bœuf (buffle), déterminé
Tigre courageux
Lièvre chat ou lapin, casanier
Dragon (lézard) charismatique
Serpent, frivole
Cheval, libre
Chèvre (bouc, mouton), dépensiers
Singe, acrobate
Coq (phénix), franc
Chien, justicier
Cochon (sanglier/ours), généreux

De quelques caractéristiques attribuées aux animaux dans le courant du moyen-âge
Le coq est l’image du pasteur, qui ponctue le temps par ses chants
L’âne sauvage ou onagre : il braie 12 fois la nuit et 12 fois le jour, le 25 mars à l’équinoxe
L’âne vulgaire porte le Christ le jour des rameaux. Il est aussi objet de dérision (Indes, Égypte)
Le loup est l’un des emblèmes du démon. C’est sous cette forme que le diable rôde autour des églises pour égorger les fidèles et ravir leurs âmes
Le grillon est l’image de la vanité ; il meurt d’écouter sa trop belle voix
Le cygne chante merveilleusement avant de mourir
Le chien mange, vomit et mange à nouveau, pour vomir, etc.. Il est à l’image du pêcheur qui va se confesser et qui pêche à nouveau dès qu’il est sorti de l’église. Il laisse sa proie pour son ombre. Il est l’emblème de l’ambition stupide
La Guivre ou la vouivre est un animal fantastique, un monstre qu’Alexandre eut à combattre (Les merveilles de l’Inde). Elle fuit devant l’homme nu et court après celui qui est vêtu, c'est-à-dire qu’elle ne pourchasse que celui qui est vêtu de péchés.
Le corbeau est l’animal qui ne revint pas à l’arche car il trouva de multiples charognes à dévorer, c’est pourquoi il mourut à la montée des eaux. Sa chair était interdite aux juifs. Son croassement est réputé de mauvais augure. Le fait qu’elle s’attaque aux yeux signifie qu’elle éteint chez l’homme toute intelligence ; il est par là l’image du démon.
Le lion a trois propriétés : il habite les hautes montagnes ; quand il est poursuivi par le chasseur, il efface la trace de ses pas avec sa queue ; il dort les yeux ouverts. La lionne met bas des petits sans vie et les délaisse. Après trois jours, le lion souffle sur les lionceaux et les ramène à la vie. Il est à l’image de Dieu le père qui ressuscite son fils après trois jours passés au tombeau. Plutarque affirme que le lion est consacré au soleil parce qu’il naît les yeux ouverts. Le lion est souvent associé à l’image du Christ
La belette conçoit par la bouche et enfante par l’oreille. Elle porte ses petits d’un lieu à l’autre (inconstance) ; elle fait une guerre impitoyable aux serpents (l’homme le plus faible peut mener guerre au démon)
Les sirènes d’Ovide ont des têtes de femmes et des corps d’oiseaux. Si le monde nous enchante et si nous y prenons plaisir, le diable (la sirène) nous emporte et nous tue
Le renard ne vit que de vol et de tricherie. Il se roule dans la terre rouge, fait semblant d’être mort et tue les oiseaux venus pour le dévorer

De quelques figures particulières
La femme au bain, à la fontaine : elle cherche un mari
« À la claire fontaine
m’en allant promener
je trouvais l’eau si belle
que je m’y suis baignée.
Il y a longtemps que je t’aime
Jamais je ne t’oublierai »

INTERMEDE
Conte australien

Deux femmes, un perroquet et un serpent d’eau, étaient assises au bord de l’eau, fort mécontentes ; car elles en avaient assez de leurs maris, deux grandes anguilles, et désiraient en changer. Entendant leurs sollicitations, un grand aigle-faucon prit sur lui toute la responsabilité de répondre à leurs désirs. Quelques temps après, chacune de ces femmes mit au monde un garçon qui fut apporté au camp de l’aigle-faucon afin que, comme un bon père, il leur fît des caresses. Mais quand il les eût vus et remarqué leur constitution hybride, il ne put s’empêcher de s’écrier : « Petit gosse ne peut m’appartenir ». Mais malgré toutes les questions qu’il posa à ses amis, il ne parvenait pas à savoir qui avait eu affaire à ces deux femmes. C’est pourquoi il les envoya chercher des ignames ; et pendant leur absence, il emmena les deux garçons soi-disant pour chasser l’opossum. Étant parvenu auprès d’un arbre comme il en cherchait un, et qui était assez creux, il dit aux jeunes garçons d’y grimper et de s’y introduire par un trou qui se trouvait à une grande hauteur. Dès qu’ils eurent disparu, il fit avec sa hache un trou au pied de l’arbre, le remplit d’herbes, y mit le feu et rôtit les deux garçons jusqu’à ce qu’ils fussent morts. Afin d’éloigner de lui les soupçons, il leur bourra le corps de petits oignons pour leur donner l’apparence de petits opossums ; puis il les mit dans des sacs et les suspendit à une branche, à l’écart. Or leurs mères étaient revenues ; et comme elles demandaient à l’aigle-faucon où se trouvaient les garçons, il leur dit qu’ils jouaient parmi les arbres avec leurs javelots d’herbe. Le perroquet et le serpent s’en allèrent à leur recherche et trouvèrent bientôt avec douleur ce qui restait de leur progéniture. Mais elles se vengèrent la même nuit : elles préparèrent à l’aigle un grand nid de feuilles et de branches et, dès qu’il fut endormi, elles y mirent le feu. Puis le serpent s’en fut dans l’eau pour y vivre désormais, n’en sortant le nez que pour écouter les nouvelles que lui apporte le perroquet qui va toujours de creux en creux d’arbre dans l’espoir d’y trouver des fragments de ses enfants.

II – ILLUSTRATIONS

LE PETIT CHAPERON ROUGE

Il existe plusieurs versions de ce conte provenant d’une région située entre le centre de la France et l’Allemagne. Il convient d’une part de les réunir afin de relever ce qui est commun et de les distraire afin de relever ce qui peut les distinguer.
Il existe une version chinoise de ce conte (voir plus bas).
1 – Les maternels
Dans l’une des versions, le chaperon rouge retourne chez sa mère après qu’elle a terminé son temps de travail auprès d’un propriétaire de troupeaux. Dans les autres versions, elle est envoyée chez sa grand’ mère chargée d’un panier de nourritures (graisse et pâtisseries). Il s’agit d’un voyage chez les maternels (protecteurs).
2 – La rencontre avec le Loup
Elle rencontre en chemin le loup (l’homme, le berger). Elle se trouve dans l’espace non socialisé.
3 – Le choix des chemins
Elle doit choisir entre deux chemins, celui des aiguilles ou celui des épingles, ou celui de gauche ou celui de droite. Suivant le chemin choisi, les fins seront différentes. Soit elle sera mangée (consommation du mariage ou accouplement, forcé ou non) soit elle se sauvera ou sera sauvée par le chasseur (homme socialisé face au prédateur).
Notes : Les aiguilles sont échangées entre les amoureux pendant les pardons, consacrant une relation amoureuse non encore officialisée.
Les épingles ajustent des tissus de façon provisoire, alors que l’aiguille coud de façon définitive.
Dérober l’épingle la plus proche du cœur de l’aimée et la déposer sur l’eau de la fontaine de Bodilis (près de Landivisiau) : si elle surnage, la belle est encore vierge.
L’aiguille est une métaphore pour le sexe de l’homme (nouer l’aiguillette).

4 – Manger sa grand’ mère et en boire le sang
Dans l’une des versions, le loup, après avoir tué la grand’ mère et en avoir mangé la chair, en a réservé le sang pour que le petit chaperon rouge le fasse fricasser. Dans une autre, elle doit manger la chair de sa grand’ mère et boire son sang en guise de vin. Dans cette dernière version, il est évident que l’acte est une parodie blasphématoire de la communion chrétienne ; elle mangera la chair de sa grand’ mère et en boira le sang. Dans l’autre version, elle fricasse le sang mais ne le mange pas. Dans ces deux versions, une voix, celle d’anges ou d’un petit oiseau, l’informe de l’acte monstrueux qu’elle est en train d’accomplir. Dans la version dans laquelle elle mange sa grand’ mère, elle sera mangée par le loup. Dans l’autre, elle se sauvera.
Le loup, dans ces versions, se rapporte sans nul doute aux faux pasteurs vilipendés par l’Église au moyen-âge et qu’on appelle des loups mangeurs de brebis (ici d’une agnelle).
5 – La transformation de la grand’ mère en loup
Toutes les versions mettent le chaperon rouge dans le lit du loup. Toutes décrivent la surprise du chaperon rouge de lui découvrir des particularités physiques qui sont très éloignées de celles de sa grand’ mère, jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive qu’elle a été dupée.
6 – Aller chier
Dans deux versions, elle se plaint d’avoir envie de « faire ». C’est une façon de rompre, donc de se séparer physiquement du loup. C’est aussi une ruse pour tromper le loup.
7 – Être ou ne pas être mangée
Suivant le chemin emprunté, chemin des aiguilles ou chemin des épingles, suivant qu’elle aura mangé, bu ou non la chair ou le sang de sa grand’ mère, elle sera « mangée » ou non. Manger, être mangée, se réfère à l’acte sexuel, qu’il soit commis de manière « normale » ou violente.

LE RAT ET LE POULPE

Le conte du rat et du poulpe se retrouve sur environ la moitié de la surface de la planète : Malaisie, Java, Bornéo, les Célèbes, Bali, Timor, Madagascar, la Nouvelle Guinée, les îles Bismarck, la Nouvelle Calédonie, Fidji, Nauru, les Ellis, Tonga, les Tuamotu ou Paumotu, etc.. Il y a même une version grecque (Ésope) de ce conte (le singe et la tortue).
Ce type de conte est destiné à tous publics.
Le récit se déroule, suivant les versions, en deux ou trois parties : la terre (parfois délaissée dans certaines versions), la mer et à nouveau la terre. Dans chacune des trois parties, des animaux particuliers vont se présenter au rat. On observera qu’il y a plusieurs fois des périodes de dégradation auxquelles succèdent des périodes d’amélioration.
1 – Un groupe d’oiseaux (ce sont des martin-pêcheurs a décidé d’abattre un arbre pour construire une pirogue. Il s’en va dans la forêt, choisit un arbre, le coupe et le débranche. Puis il se repose pendant la nuit. Le lendemain, le groupe constate que toutes les branches ont repoussé. Tout le travail est à recommencer.
Note : les oiseaux sont des habitants du bord de mer. Ils doivent quitter le rivage pour s’enfoncer dans la brousse. La brousse est le domaine du diable. Il y a toujours danger à quitter un milieu qui n’est pas le sien. Sous le vocable « oiseaux », on désigne tous les animaux volants, mouches, chauve-souris, papillons. Les oiseaux désignent tous les nouveaux venus, les étrangers qui vont devoir affronter les populations qui vivent à l’intérieur des terres. La forêt est le domaine des ogres, des démons, de la magie.
2 – Après trois tentatives aussi vaines les unes que les autres, le groupe décide de déposer une offrande de nourriture dans le creux d’un arbre. Le diable est ainsi honoré. Il laisse faire les oiseaux qui peuvent couper l’arbre, l’ébrancher et y creuser leur pirogue.
Note : il y a nécessité d’un rituel, d’un don, afin de reconnaître et de préserver le droit de propriété du diable sur son territoire.
3 – Le rat, animal terrestre, est descendu sur le bord de mer et il rencontre le groupe d’oiseaux et sa pirogue. Aussitôt, il veut monter sur la pirogue avec le groupe et devenir le capitaine.
Note : le rat est un animal anti-social (équivalent au renard chez nous), égoïste, moqueur et marginal. Il se nourrit de fruits, mais lors des grandes pluies, il descend sur le rivage. Le rat, ici, est un individu qui s’oppose au groupe. La pirogue est ici l’équivalent du territoire. Le chef se tient à la proue ; le capitaine à la poupe est le maître de la pirogue (chacun a son rôle comme la reine d’Angleterre d’un côté et le premier ministre de l’autre).
4 – Le maître oiseau cède. Il lui laisse sa place et il s’envole pour se percher au sommet du mât.
Note : Le maître oiseau est ici un martin-pêcheur. Le martin pêcheur est l’emblème de clans souvent guerriers. Se tenir sur une hauteur signifie dominer.
5 – Le rat gouverne la pirogue en mer et, comme il ne sait pas la gouverner, la pirogue chavire. Les oiseaux quittent la pirogue en volant et le laissent se débrouiller seul.
Note : Le rat a déréglé l’ordre social en prenant la place du pilote, place à laquelle il n’a aucun droit.
6 – Le rat hèle un requin qui passe près de lui. Il lui demande de monter sur son dos et de lui faire regagner le rivage. Le requin refuse en disant : « J’ai peur de tes moustaches ».
Note : Le requin est l’emblème de nombreux groupes. Porter quelqu’un signifie que l’on se met sous sa coupe, qu’on lui prête allégeance. Le requin, noble, ne peut ni ne veut, devenir le vassal du rat. Il s’en tire par une pirouette.
7 – Une tortue passe alors près du rat et accepte de le porter jusqu’au rivage. Pendant le voyage, le rat tient la tortue par le cou. Une fois à terre, le rat se retourne vers la tortue qui l’a sauvé… et la tue !
Note : Le rat, en tenant la tortue par le cou, lui signifie qu’il la méprise, qu’il se l’est approprié. La tortue est un animal respecté par les uns et considéré comme stupide par les autres.
8 – La morale de cette histoire est que la générosité n’est pas récompensée.
Note : La morale finale fait l’économie d’une grande partie du conte où les relations sociales sont décrites ou définies par des allusions et des événements divers. Le trait caractéristique de la plupart des contes tient dans le fait qu’il faut mémoriser l’ensemble jusqu'à la chute finale qui agit comme déclencheur.

Dans une autre version, la tortue est remplacée par le poulpe. Pendant le voyage, le rat a envie de pisser ; il lui pisse sur la tête. « Pourquoi ris-tu ? » lui demande le poulpe. Le rat, qui rit de sa mauvaise farce, lui répond : « Je ris parce que je suis heureux d’apercevoir la terre qui se rapproche ». Puis le rat est prit d’une envie de chier, et il lui chie sur la tête. Et il rit de plus belle. « Pourquoi ris-tu ainsi ? » lui demande le poulpe. « Parce que nous sommes près d’arriver, et j’en suis heureux, heureux… » lui répond-il. Dès qu’ils ont atteint le rivage, le rat saute à terre, se retourne vers le poulpe, et lui dit : « Je t’ai menti tout à l’heure. Si je riais tant, et j’en ris encore, c’est que je t’ai pissé sur la tête, puis je t’ai chié sur la tête. » Puis il se sauve de peur que le poulpe le lui fasse payer. Alors, le poulpe saisit une longue baguette pointue abandonnée sur le rivage et la lance sur le rat. Elle se plante en son derrière. C’est depuis ce temps que le rat promène derrière lui une longue queue.
Note : La chute est de type étiologique ; elle explique une particularité physique.

Une autre version, de type éthologique cette fois, remplace l’oiseau chef (le martin-pêcheur) par une chouette. La chouette est montée en haut du mat de la pirogue et le rat ne le supporte pas. « Je souhaite que tu tombes de là et que tu te casses une patte », dit-il à la chouette. La chouette est outrée de ces propos.
Moralité : C’est depuis ce temps que la chouette chasse, tue et mange les rats.

Ésope (VI° siècle A.C.) Note : Le premier grec à avoir inscrit une fable dans l’un de ses textes est Hésiode (« Les travaux et les jours »), le rossignol et l’épervier.
LE SINGE ET LE DAUPHIN
TEXTE
C’est la coutume, quand on voyage par mer, d’emmener avec soi de petits chiens de Malte et des singes pour se distraire pendant la traversée. Or donc un homme qui naviguait avait, avec lui, un singe. Quand on arriva à Sunion, promontoire de l’Attique, une tempête violente se déchaîna. Le navire chavira et tout le monde se sauva à la nage, le singe comme les autres. Un dauphin l’aperçut et, le prenant pour un homme, il se glissa sous lui, le soutint et le transporta vers la terre ferme. Comme il arrivait au Pirée, entrepôt maritime d’Athènes, il demanda au singe s’il était athénien. Le singe ayant répondu que oui, et qu’il avait même à Athènes des parents illustres, le dauphin lui demanda s’il connaissait aussi le Pirée. Le singe, croyant qu’il voulait parler d’un homme, dit que oui, et que c’était même un de ses amis intimes. Indigné d’un tel mensonge, le dauphin le plongea dans l’eau et le noya.
Cette fable vise les hommes qui, ne connaissant pas la vérité, pensent en faire accroire aux autres.

LE SINGE ET LES PÊCHEURS
TEXTE
Un singe perché sur un arbre élevé, ayant vu des pêcheurs jeter la seine dans une rivière, observait leur manière de faire. À un moment donné, laissant là leur seine, ils se retirèrent à quelque distance pour prendre leur déjeuner. Alors le singe, descendant de son arbre, essaya de faire comme eux ; car cette bête a, dit-on, l’instinct d’imitation. Mais quand il eut touché aux filets, il se prit dedans et se vit en danger d’être noyé. Il se dit alors : « Je n’ai que ce que je mérite : pourquoi ai-je entrepris de pêcher, sans avoir appris ? ».
Cette fable montre qu’à se mêler d’affaires que l’on n’entend pas, non seulement on ne gagne rien, mais encore on se nuit.
Note : Pour vérifier si un conte, une fable, ont des origines communes, il est nécessaire de vérifier comment l’auteur décrit, par l’illustration, les qualités et défauts des animaux qu’il a mis en scène. Ici, le singe apparaît comme un animal isolé (ainsi le rat ci-dessus), menteur, hâbleur, maladroit, empressé.

DOCUMENTS

Chaperon Rouge tourangeau (1885)

Une fois il y avait une fillette en condition dans la campagne qui entendit parler que sa grand-mère était malade ; elle se mit en chemin le lendemain, pour l'aller voir ; mais quand elle fut bien loin, à une croisée de chemins, elle ne savait pas lequel prendre. Elle y rencontra un homme bien laid, conduisant une truie, et à qui elle demanda son chemin, lui disant qu'elle allait voir sa grand-mère malade. Il faut aller à gauche, lui dit-il, c'est le meilleur et le plus court chemin, et vous serez vite rendue. La fillette y alla ; mais le chemin était le plus long et le plus mauvais, elle mit longtemps pour arriver chez sa grand-mère, et c'est avec beaucoup de peine qu'elle s'y rendit très tard.
Pendant que la petite Jeannette était engagée dans les patouilles du mauvais chemin, le vilain homme, qui venait de la renseigner mal, s'en alla à droite par le bon et court chemin, puis il arriva chez la grand-mère longtemps avant elle. Il tua la pauvre femme et il déposa son sang dans la mette (huche) et se mit au lit.
Quand la petite arriva chez sa grand-mère, elle frappa à la porte, ouvrit, entra et dit : Comment allez-vous, ma grand-mère ?
– Pas mieux, ma fille, répondit le vaurien d'un air plaintif, et contrefaisant sa voix : As-tu faim ?
– Oui, ma grand-mère, qu'y a-t-il à manger ?
– Il y a du sang dans la mette, prends la poêle et le fricasse, tu le mangeras. La petite obéit.

Pendant qu'elle fricassait le sang, elle entendait du haut de la cheminée des voix comme des voix d'anges qui disaient : Ah ! la maudite petite fille qui fricasse le sang de sa grand-mère !
– Qu'est-ce qui disent donc, ma grand-mère, ces voix qui chantent par la cheminée ?
– Ne les écoute pas, ma fille, ce sont des petits oiseaux qui chantent leur langage; et la petite continuait toujours à fricasser le sang de sa grand-mère, Mais les voix recommencèrent encore à chanter : Ah ! la vilaine petite coquine qui fricasse le sang de sa grand-mère ! Jeannette dit alors. Je n'ai pas faim, ma grand-mère, je ne veux pas manger de ce sang-là. Hé bien ! viens au lit, ma fille, viens au lit. Jeannette s'en alla au lit à côté de lui.
Quand elle y fut, elle s'écria : Ah ! ma grand-mère, que vous avez de grands bras ?
– C'est pour mieux t'embrasser, ma fille, c'est pour mieux t'embrasser.
– Ah ! ma grand-mère que vous avez de grandes jambes ?
– C'est pour mieux marcher, ma fille, c'est pour mieux marcher.
– Ah ! ma grand-mère, que vous avez de grands yeux ?
– C'est pour mieux te voir, ma fille, c'est pour mieux te voir.
– Ah ! ma grand-mère, que vous avez de grandes dents ?
– C'est pour mieux manger ma fille, c'est pour mieux manger.

Jeannette prit peur et dit : Ah ! ma grand-mère, que j'ai grand envie de faire ?
– Fais au lit, ma fille, fais au lit.
– C'est bien sale, ma grand-mère, si vous avez peur que je m'en aille, attachez-moi un brin de laine à la jambe, quand vous serez ennuyée que je sois dehors, vous le tirerez et vous verrez que j'y suis, ça vous rassurera.
– Tu as raison, ma fille, tu as raison.
Et le monstre attache un brin de laine à la jambe de Jeannette, puis il garda le bout dans sa main. Quand la jeune fille fut dehors, elle rompit le brin de laine et s'en alla. Un moment après la fausse grand-mère dit : As-tu fait, Jeannette, as-tu fait ? Et les mêmes voix des petits anges répondirent encore du haut de la cheminée : Pas encore, ma grand-mère, pas encore ! Mais quand il y eut longtemps ils dirent : c'est fini. Le monstre tira le brin de laine, mais il n'y avait plus rien au bout.
Ce mauvais diable se leva tout en colère et monta sur sa grande truie qu'il avait mise au tet (toit) et il courut après la jeune fille pour la rattraper ; il arriva à une rivière où des laveuses lavaient la buie (buée). Il leur dit : - Avez-vous vu passer fillon fillette,
- Avec un chien barbette (barbet)
- Qui la suivette (suivait).
– Oui, répondirent les laveuses, nous avons étendu un drap sur l'eau de la rivière et elle a passé dessus.
– Ah ! dit le méchant, étendez-en donc un que je passe.
Les laveuses tendirent un drap sur l'eau et le diable s'y engagea avec sa truie qui enfonça aussitôt, et il s'écria : Lape, lape, lape, ma grande truie, si tu ne lapes pas tout, nous nous noierons tous deux. Mais la truie n'a pas pu tout laper, et le diable s'est noyé avec sa truie, et fillon fillette fut sauvée.

La Fille et le loup . Petit chaperon rouge auvergnat (1874)

Une petite fille était affermée dans une maison pour garder deux vaches. Quand elle eut fini son temps, elle s'en est allée. Son maître lui donna un petit fromage et une pompette de pain.
– Tiens ma petite, porte çà à ta mère. Ce fromage et cette pompette y aura pour ton souper quand tu arriveras vers ta mère.

La petite prend le fromage et la pompette. Elle passa dans le bois, rencontra le loup qui lui dit :
– Je m'en vais vers ma mère. Moi j'ai fini mon gage.
– T'ont payé ?
– Oui, m'ont payé, m'ont donné encore une petite pompette, m'ont donné un fromage.
– De quel côté passes-tu pour t'en aller ?
– Je passe du côté de les épingles, et vous, de quel côté passez vous ?
– Je passe du côté de les aiguilles.

Le loup se mit à courir, le premier, alla tuer la mère et la mangea, il en mangea la moitié, il mit le feu bien allumé, et mit cuire l'autre moitié et ferma bien la porte. Il s'alla coucher dans le lit de la mère.
La petite arriva. Elle piqua la porte : Ah ! ma mère, ouvrez-moi.
– Je suis malade ma petite. Je me suis couchée. Je peux pas me lever pour t'aller ouvrir. Vire la tricolète. Quand la petite virait la tricolète, ouvrit la porte entra dans la maison, le loup était dans le lit de sa mère.
– Vous êtes malade, ma mère ?
– Oui je suis bien malade. Et tu es venue de Nostera.
– Oui, je suis venue. Ils m'ont donné une pompette et un fromageau.
– Ca va bien ma petite, donne m'en un petit morceau. Le loup prit le morceau et le mangea, et dit à la fille, il y a de la viande sur le feu et du vin sur la table, quand tu auras mangé et bu, tu te viendras coucher.

Le sang de sa mère, le loup l'avait mis dans une bouteille, et il avait mis un verre à côté à demi plein de sang. Il lui dit : Mange de la viande, il y en a dans l'oulle ; il y a du vin sur la table, tu en boiras.

Il y avait un petit oiseau sur la fenêtre du temps que la petite mangeait sa mère qui disait :
– Ri tin tin tin tin. Tu manges la viande de ta mère et tu lui bois le sang. Et la petite dit :
– Que dit-il maman, cet oiseau ?
– Il dit rien, mange toujours, il a bien le temps de chanter.

Et quand elle eut mangé et bu le loup dit à la petite : Viens te coucher ma petite. Viens te coucher. Tu as assez mangé ma petite, à présent et bien viens te coucher à ras moi. J'ai froid aux pieds tu me réchaufferas.
– Je vais me coucher maman.
Elle se déshabille et va se coucher à ras sa mère, en lui disant :
– Ah ! maman, que tu es bourrue !
– C'est de vieillesse, mon enfant, c'est de vieillesse.
La petite lui touche ses pattes : Ah ! maman que vos ongles sont devenus longs.
– C'est de vieillesse, c'est de vieillesse.
– Ah ! maman, que vos dents sont devenues longues.
– C'est de vieillesse, c'est de vieillesse. Mes dents sont pour te manger,
Et il la mangea.

Conte de la mère-grand Petit Chaperon Rouge Nivernais (1870)

C'était un femme qui avait fait du pain. Elle dit à sa fille :
– Tu vas porter une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ta grand.
Voilà la petite fille partie. À la croisée de deux chemins, elle rencontra le bzou qui lui dit :
– Où vas-tu ?
– Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.
– Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des aiguilles ou celui des épingles ?
– Celui des aiguilles, dit la petite fille.
– Eh bien ! moi, je prends celui des épingles.
La petite fille s'amusa à ramasser des aiguilles.
Et le bzou arriva chez la Mère grand, la tua, mit de sa viande dans l'arche et une bouteille de sang sur la bassie.

La petite fille arriva, frappa à la porte.
– Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille mouillée.
– Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute chaude et une bouteille de lait.
– Mets-les dans l'arche, mon enfant. Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie.

Suivant qu'elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :
– Pue !... Salope !... qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.
– Déshabille-toi, mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers moi.
– Où faut-il mettre mon tablier ?
– Jette-le au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin.

Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses, elle lui demandait où les mettre. Et le loup répondait : "Jette-les au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin."

Quand elle fut couchée, la petite fille dit :
– Oh, ma grand, que vous êtes poilouse !
– C'est pour mieux me réchauffer, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grands ongles que vous avez !
– C'est pour mieux me gratter, mon enfant !
– Oh! ma grand, ces grandes épaules que vous avez !
– C'est pour mieux porter mon fagot de bois, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grandes oreilles que vous avez !
– C'est pour mieux entendre, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grands trous de nez que vous avez !
– C'est pour mieux priser mon tabac, mon enfant !
– Oh! ma grand, cette grande bouche que vous avez !
– C'est pour mieux te manger, mon enfant !
– Oh! ma grand, que j'ai faim d'aller dehors !
– Fais au lit mon enfant !
– Au non, ma grand, je veux aller dehors.
– Bon, mais pas pour longtemps.

Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et la laissa aller.
Quand la petite fut dehors, elle fixa le bout du fil à un prunier de la cour. Le bzou s'impatientait et disait : "Tu fais donc des cordes ? Tu fais donc des cordes ?"
Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à bas du lit et vit que la petite était sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.

Jacob et Wilhelm GRIMM. Le Petit Chaperon Rouge Allemand

Il était une fois une petite fille que tout le monde aimait bien, surtout sa grand-mère. Elle ne savait qu'entreprendre pour lui faire plaisir. Un jour, elle lui offrit un petit bonnet de velours rouge, qui lui allait si bien qu'elle ne voulut plus en porter d'autre. Du coup, on l'appela « Chaperon rouge ». Un jour, sa mère lui dit :
- Viens voir, Chaperon rouge : voici un morceau de gâteau et une bouteille de vin. Porte-les à ta grand-mère ; elle est malade et faible ; elle s'en délectera ; fais vite, avant qu'il ne fasse trop chaud. Et quand tu seras en chemin, sois bien sage et ne t'écarte pas de ta route, sinon tu casserais la bouteille et ta grand-mère n'aurait plus rien. Et quand tu arriveras chez elle, n'oublie pas de dire « Bonjour » et ne va pas fureter dans tous les coins.
- Je ferai tout comme il faut, dit le Petit Chaperon rouge à sa mère. La fillette lui dit au revoir. La grand-mère habitait loin, au milieu de la forêt, à une demi-heure du village. Lorsque le Petit Chaperon rouge arriva dans le bois, il rencontra le Loup. Mais il ne savait pas que c'était une vilaine bête et ne le craignait point.
- Bonjour, Chaperon rouge, dit le Loup.
- Bonjour, Loup, dit le Chaperon rouge.
- Où donc vas-tu si tôt, Chaperon rouge ?
- Chez ma grand-mère.
- Que portes-tu dans ton panier ?
- Du gâteau et du vin. Hier nous avons fait de la pâtisserie, et ça fera du bien à ma grand-mère. Ça la fortifiera.
- Où habite donc ta grand-mère, Chaperon rouge ?
- Oh ! à un bon quart d'heure d'ici, dans la forêt. Sa maison se trouve sous les trois gros chênes. En dessous, il y a une haie de noisetiers, tu sais bien ? dit le petit Chaperon rouge.
Le Loup se dit : « Voilà un mets bien jeune et bien tendre, un vrai régal ! Il sera encore bien meilleur que la vieille. Il faut que je m'y prenne adroitement pour les attraper toutes les eux ! »
Il l'accompagna un bout de chemin et dit :
- Chaperon rouge, vois ces belles fleurs autour de nous. Pourquoi ne les regardes-tu pas ? J'ai l'impression que tu n'écoutes même pas comme les oiseaux chantent joliment. Tu marches comme si tu allais à l'école, alors que tout est si beau, ici, dans la forêt !
Le Petit Chaperon rouge ouvrit les yeux et lorsqu'elle vit comment les rayons du soleil dansaient de-ci, de-là à travers les arbres, et combien tout était plein de fleurs, elle pensa :
« Si j'apportais à ma grand- mère un beau bouquet de fleurs, ça lui ferait bien plaisir. Il est encore si tôt que j'arriverai bien à l'heure. »
Elle quitta le chemin, pénétra dans le bois et cueillit des fleurs. Et, chaque fois qu'elle en avait cueilli une, elle se disait :
« Plus loin, j'en vois une plus belle » ; et elle y allait et s'enfonçait toujours plus profondément dans la forêt.
Le Loup lui, courait tout droit vers la maison de la grand-mère. Il frappa à la porte.
- Qui est là ?
- C'est le Petit Chaperon rouge qui t'apporte du gâteau et du vin.
- Tire la chevillette, dit la grand-mère. Je suis trop faible et ne peux me lever.
Le Loup tire la chevillette, la porte s'ouvre et sans dire un mot, il s'approche du lit de la grand-mère et l'avale. Il enfile ses habits, met sa coiffe, se couche dans son lit et tire les rideaux.
Pendant ce temps, le petit Chaperon Rouge avait fait la chasse aux fleurs.
Lorsque la fillette en eut tant qu'elle pouvait à peine les porter, elle se souvint soudain de sa grand-mère et reprit la route pour se rendre auprès d'elle. Elle fut très étonnée de voir la porte ouverte. Et lorsqu'elle entra dans la chambre, cela lui sembla si curieux qu'elle se dit :
« Mon dieu, comme je suis craintive aujourd'hui. Et, cependant, d'habitude, je suis si contente d'être auprès de ma grand-mère ! »
Elle s'écria :
- Bonjour ! Mais nulle réponse. Elle s'approcha du lit et tira les rideaux. La grand-mère y était couchée, sa coiffe tirée très bas sur son visage. Elle avait l'air bizarre.
- Oh, grand-mère, comme tu as de grandes oreilles.
- C'est pour mieux t'entendre...
- Oh ! grand-mère, comme tu as de grands yeux !
- C'est pour mieux te voir !
- Oh ! grand-mère, comme tu as de grandes mains !
- C'est pour mieux t'étreindre...
- Mais, grand-mère, comme tu as une horrible et grande bouche !
- C'est pour mieux te manger !
À peine le Loup eut-il prononcé ces mots, qu'il bondit hors du lit et avala le pauvre Petit Chaperon rouge.
Lorsque le Loup eut apaisé sa faim, il se recoucha, s'endormit et commença à ronfler bruyamment.
Un chasseur passait justement devant la maison. Il se dit :
« Comme cette vieille femme ronfle ! Il faut que je voie si elle a besoin de quelque chose. »
Il entre dans la chambre et quand il arrive devant le lit, il voit que c'est un Loup qui y est couché.
- Ah ! c'est toi, bandit ! dit-il. Voilà bien longtemps que je te cherche...
Il se prépare à faire feu lorsque tout à coup l'idée lui vient que le Loup pourrait bien avoir avalé la grand-mère et qu'il serait peut-être encore possible de la sauver. Il ne tire pas, mais prend des ciseaux et commence à ouvrir le ventre du Loup endormi.
À peine avait-il donné quelques coups de ciseaux qu'il aperçoit le Chaperon rouge.
Quelques coups encore et la voilà qui sort du Loup et dit :
- Ah ! comme j'ai eu peur ! Comme il faisait sombre dans le ventre du Loup !
Et voilà que la grand-mère sort à son tour, pouvant à peine respirer.
Le Petit Chaperon rouge se hâte de chercher de grosses pierres. Ils en remplissent le ventre du Loup. Lorsque celui-ci se réveilla, il voulut s'enfuir. Mais les pierres étaient si lourdes qu'il s'écrasa par terre et mourut.
Ils étaient bien contents tous les trois : le chasseur dépouilla le Loup et l'emporta chez lui.
La grand-mère mangea le gâteau et but le vin que le Petit Chaperon rouge avait apportés. Elle s'en trouva toute ragaillardie.
Le Petit Chaperon rouge cependant pensait :
« Je ne quitterai plus jamais mon chemin pour aller me promener dans la forêt, quand ma maman me l'aura interdit. »

Version Chinoise

Il y avait, au pied de la montagne Funiu, un petit village où habitait une vieille dame.
Un jour, ayant entendu dire que sa fille et son gendre n'étaient pas à la maison, la vieille dame prit sa canne et se mit en route pour aller voir ses trois petites-filles, avec, dans son panier, des pains farcis et des galettes frites.
Il faisait très chaud. Après un moment de marche sur le sentier de la montagne, la vieille dame fut trempée de sueur. La maison de sa fille n'était plus très loin. Elle posa le panier et voulut se reposer un peu. Tout d'un coup, elle entendit un souffle lourd venant d'un petit bois tout proche. Un loup gris apparut. Il se dirigea vers elle et lui demanda, en faisant des manières :
- Où allez-vous, vieille dame ?
- Chez mes petites-filles.
- Qu'y a-t-il dans le panier?
- Pains farcis et galettes frites.
- Donnez-m'en un, que je goûte.
La vieille dame lui jeta un pain farci, le loup ouvrit la gueule, et l'avala. Il en réclama un autre. Il l' avala aussi vite que le premier. Puis :
- Où habitent vos petites- filles ? demanda-t-il.
- Au village d'en face, là où il y a un grand jujubier.
- Comment s’appellent-elles, vos petites filles ?
- L'aînée Menda'r, la seconde Menbi'r et la cadette Saozouguduo'r.
Le loup gris se redressa, s'étira. Il dit encore, en découvrant ses crocs :
-Un pain farci, une galette frite ne sont rien pour moi, je veux te manger.
Il se jeta sur la vieille dame et il la dévora. Quand ce fut fait, le loup gris mit son vêtement, prit le panier, la canne, et ainsi déguisé se dirigea vers la maison des petites-filles.
Parvenu devant la maison, il s'assit sur le mortier à riz pour cacher sa queue, et se mit à crier en i mitant la voix de la grand-mère :
- Menda'r, Menbi'r, Saozouguduo'r, ouvrez-moi la porte !
Les trois petites sœurs demandèrent :
- Qui êtes-vous ?
- Votre grand-mère.
- Pourquoi arrivez-vous si tard '?
- Le chemin était long et semé de fondrières. J'ai fait aussi vite que j’ai pu.
La cadette aussitôt voulut ouvrir à sa " grand-mère ". L'aînée l'en empêcha.
Par une fente dans la porte, elle regarda. Elle vit au clair de lune un être lourd et sombre. Elle cria :
-Vous n'êtes pas notre grand- mère ! Notre grand-mère a un grain de beauté noir sur le visage.
Entendant cela, grand-mère loup murmura:
" Que le vent du nord-est me colle des écorces de sarrasin sur le visage. "
Il ramassa une écorce par terre et l'aplatit sur sa figure. A nouveau il cria :
- Menda'r, Menbi'r, Saozouguduo'r, ouvrez-moi la porte !
La seconde fille vint à son tour risquer son oeil à la fente dans la porte. Elle vit un grain de beauté sur le visage de la " grand-mère ", mais elle n'en fut pas satisfaite. Elle cria :
- Vous n'êtes pas notre grand-mère ! Notre grand-mère a les jambes enveloppées dans des bandes molletières !
Grand-mère loup murmura : "Hirondelles du sud, hirondelles du nord, apportez-moi des bandes molletières!"
Il ramassa des feuilles de sorgho, les colla sur les pattes. Il avait alors des bandes molletières. Il se remit à crier :
- Menda'r, Menbi'r, Saozouguduo'r, ouvrez-moi la porte !
La cadette à son tour risqua son oeil à la fente dans la porte. Elle dit :
- C'est bel et bien notre grand-mère.
Crac! Elle ouvrit la porte.
Grand-mère loup entra dans la maison, s'assit sur un seau pour y cacher sa queue, et dit aux petites-filles :
- Il se fait tard, allons nous coucher! Qui veut dormir avec moi sous la couette ?
Menda' r répondit :
- Je ne veux pas dormir avec vous.
Menbi'r répondit :
- Je ne veux pas dormir avec vous non plus.
Saozouguduo'r lui dit :
- Moi je veux bien.
La cadette se coucha. Elle tendit sa jambe vers sa " grand-mère ".
Elle toucha quelque chose qui lui parut être de la fourrure. Elle demanda :
- Qu'est-ce que c’est que ça grand-mère ?
- Du chanvre que je vous ai apporté. Dors !
Les deux aînées avaient toujours des doutes. Elles n'arrivaient pas à fermer l'œil. Vers minuit, elles entendirent un craquement d'os broyé dans le lit où dormait la "grand-mère". Menda'r demanda :
- Grand-mère, que mangez-vous ?
- Grand-mère tousse la nuit et croque quelques carottes. Tu en veux ?
- Tiens, mange.
Le loup lui jetait un morceau. L'aînée prit ce morceau. Il était collant. Il y avait un dé en cuivre au milieu. Elle comprit alors que c'était là un doigt de leur grand-mère que le loup avait mangée. Il venait maintenant les manger, elles, certainement. Elle murmura quelque chose à l'oreille de Menbi'r, puis elle réveilla sa soeur cadette Saozouguduo'r.
Après quoi, Menda'r cria :
Grand-mère, j'ai envie de faire caca !
- Tu m'ennuies! Va faire sous le lit !
--Je ne peux pas, le dieu du lit m'en empêche.
- Va donc dans le trou à cendres.
- Je ne peux pas, le dieu du foyer m'en empêche!
- Alors va derrière la porte.
- Je ne peux pas, le dieu de la porte m'en empêche!
- Sale gosse, va faire dehors, sur le tas d'ordures !
Menda' r accepta. Elle descendit du lit. Elle prit une corde et sortit. Un moment après, Menbi'r cria :
- Grand-mère, j' ai envie de faire caca.
- Sale gosse, tu m'ennuies, va faire sous le lit !
- Je ne peux pas, le dieu du lit m’en empêche.
- Va donc dans le trou à cendres.
- Je ne peux pas, le dieu du foyer m'en empêche.
- Alors va derrière la porte.
- Je ne peux pas, le dieu de la porte m’en empêche.
- Sale gosse, va faire dehors, sur le tas d'ordures !
Menbi'r accepta, descendit du lit et sortit avec un pot d'huile.
Ce fut enfin le tour de la cadette :
- Grand-mère, j'ai envie de faire caca.
- Sale gosse, tu m'ennuies, va faire sous le lit.
- Je ne peux pas, le dieu du lit m'en empêche.
- Va donc dans le trou à cendres.
- Je ne peux pas, le dieu du foyer m'en empêche.
- Alors va derrière la porte.
- Je ne peux pas, le dieu de la porte m'en empêche.
- Sale gosse, va faire dehors, sur le tas d'ordures!
Saozouguduo'r descendit du lit et sortit.
Les trois soeurs, dans la cour, montèrent l'une après l'autre sur le grand jujubier. Elles versèrent l'huile qu'avait prise Menbi'r sur le tronc d'arbre.
Grand-mère loup restée seule au lit, attendit. Aucune des sœurs ne revint. Alors elle se leva, alla devant la porte et cria :
- Où êtes-vous, sales gosses ?
Menda' r répondit
- Sur l'arbre. Grand-mère, venez vite voir, des lanternes rouges, des couvercles verts ! Il y a un mariage chez nos voisins, le spectacle est magnifique !
Le loup ne pensait qu'à les manger, il trotta jusqu'au pied de l'arbre et voulut y grimper. Mais le tronc était si glissant qu'il retomba. Il essaya dix fois, il retomba dix fois. Il dit enfin aux filles :
- Grand-mère est vieille, elle ne peut plus grimper aux arbres. Venez m'aider !
Menda'r lui répondit :
- Prenez cette corde, attachez-Ia autour de votre taille, et je vous hisserai.
Grand-mère loup noua la corde en hâte autour d'elle. Après quoi elle dit :
-Je suis prête !
Saozouguduo'r et Menbi'r hissèrent le loup jusqu'aux premières branches puis lâchèrent soudain la corde. Plaf! Le loup retomba par terre. Il se mit à gémir, en se frottant les os :
- Sales gosses, vous ne m'échapperez pas! Dès que vous serez descendues, je vous croquerai!
Menda'r lui dit :
- Grand-mère, mes sœurs ne sont pas assez fortes pour vous hisser! Attachez-vous à nouveau, cette fois, je vais tirer avec elles.
Le loup n'avait qu'un désir: dévorer les filles. Il se rattacha malgré ses courbatures et cria: "Tirez fort! Cette fois, ne me laissez plus tomber. "
Les soeurs le rassurèrent, à nouveau le hissèrent. Quand il fut à la même hauteur, elles lâchèrent à nouveau la corde. Plaf! Le loup tomba par terre. Un ruisseau de sang lui coula du nez. Il ne gémit plus, il ne bougea plus.
Le jour allait se lever. Les trois sœurs descendirent de l'arbre et virent que le loup était mort. Alors elles rentrèrent chez elles, toutes contentes.

Version chinoise du " Petit Chaperon Rouge " dans le recueil: Contes populaires chinois. Shangaï (Chine), 1989
(Titre en chinois: Zhongguo TongHua)
Recueilli dans la province du Henan, par Zhang Zhenli, Wang Jinzhong et Hu Hangin
Traduit du chinois en français par Mademoiselle Gao Bin.

Lycaon

Extrait de Ana Pairet « Les mutacions des fables », Honoré Champion, 2002

Première métamorphose à toucher un être humain, la transformation de Lycaon est un exemple souvent cité dans les accessus des grammairiens. La tradition médiévale a retenu le caractère exemplaire de ce mythe : transformé en loup parce qu’il agissait comme tel. Lycaon ne devient que ce qu’il était déjà. Le poème médiéval souligne la férocité de Lycaon mais tend à effacer la continuité entre l’homme et la bête, élément central de la métamorphose ovidienne :
Fit lupus et uenevis seruat uestigia formae.
Canities eadem est, eadem uiolencia uultus,
Idem occuli lucent eadem feritatis imago est.


[devenu un loup, il conserve encore les vestiges de son ancienne forme.
[Il a toujours le même poil gris, le même air farouche,
[les mêmes yeux ardents ; il est toujours l’image de la férocité.

Chez Ovide, Lycaon conserve non seulement sa férocité, mais également ses traits physiques, comme le souligne la reprise de l’adjectif eadem. L’Ovide moralisé minimise les traits humain dans l’animal pour que cette continuité ne soit plus que morale :
Il est fais leuz malz et nuisans ;
Encore a il les ieux luisans,
S’est plains de rage et de mauté,
Si come il ot ainçois esté.

OGRES ET OGRESSES

Charles Perrault, le petit Poucet in « contes de ma mère Loye » 1697

TEXTE

Il estoit une fois un bucheron et une bucheronne qui avaient sept enfans, tous garçons ; l’aîné n’avait que dix ans, et le plus jeune n’en avait que sept. On s’estonnera que le bucheron ait eu tant d’enfans en si peu de temps ; mais c’est que sa femme allait viste en besogne, et n’en faisait pas moins que deux à la fois.
Ils estaient fort pauvres, et leurs sept enfans les incommodaient beaucoup, parce qu’aucun d’eux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, c’est que le plus jeune estait fort delicat et ne disait mot, prenant pour bestise ce qui estait une marque de la bonté de son esprit. Il estait fort petit, et, quand il vint au monde, il n’estait gueres plus gros que le pouce, ce qui fit que l’on l’appella le Petit Poucet.
Ce pauvre enfant estoit le souffre-douleurs de la maison, et on lui donnoit toûjours le tort. Cependant il estoit le plus fin et le plus avisé de tous ses freres, et, s’il parloit peu, il écoutoit beaucoup.
Il vint une année très-fâcheuse, et la famine fut si grande que ces pauvres gens resolurent de se deffaire de leurs enfans. Un soir que ces enfans estoient couchez, et que le bucheron estoit auprés du feu avec sa femme, il luy dit, le cœur serré de douleur :
« Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourrir nos enfans ; je ne sçaurois les voir mourir de faim devant mes yeux, et je suis resolu de les mener perdre demain au bois, ce qui sera bien aisé, car, tandis qu’ils s’amuseront à fagoter, nous n’avons qu’à nous enfuir sans qu’ils nous voient.
— Ah ! s’écria la bucheronne, pourrois-tu toi-même mener perdre tes enfans ! »
Son mary avoit beau luy representer leur grande pauvreté, elle ne pouvoit y consentir ; elle estoit pauvre, mais elle estoit leur mere.
Cependant, ayant consideré quelle douleur ce luy seroit de les voir mourir de faim, elle y consentit, et alla se coucher en pleurant.
Le Petit Poucet ouït tout ce qu’ils dirent, car, ayant entendu, de dedans son lit, qu’ils parloient d’affaires, il s’estoit levé doucement et s’estoit glissé sous l’escabelle de son pere, pour les écouter sans estre vû. Il alla se recoucher, et ne dormit point le reste de la nuit, songeant à ce qu’il avoit à faire.
Il se leva de bon matin, et alla au bord d’un ruisseau, où il emplit ses poches de petits cailloux blancs, et ensuite revint à la maison. On partit, et le Petit Poucet ne découvrit rien de tout ce qu’il sçavoit à ses freres.
Ils allerent dans une forest fort épaisse, où à dix pas de distance on ne se voyoit pas l’un l’autre. Le bucheron se mit à couper du bois, et ses enfans à ramasser des broutilles pour faire des fagots. Le pere et la mere, les voyant occupez à travailler, s’éloignerent d’eux insensiblement, et puis s’enfuirent tout à coup par un petit sentier détourné.
Lorsque ces enfans se virent seuls, il se mirent à crier et à pleurer de toute leur force. Le Petit Poucet les laissoit crier, sçachant bien par où il reviendroit à la maison, car en marchant il avoit laissé tomber le long du chemin les petits cailloux blancs qu’il avait dans ses poches. Il leur dit donc :
« Ne craignez point, mes freres ; mon pere et ma mere nous ont laissez icy, mais je vous rameneray bien au logis : suivez-moy seulement. »
Ils le suivirent, et il les mena jusqu’à leur maison, par le même chemin qu’ils estoient venus dans la forest. Ils n’oserent d’abord entrer, mais ils se mirent tous contre la porte, pour écouter ce que disaient leur pere et leur mere.
Dans le moment que le bucheron et la bucheronne arriverent chez eux, le seigneur du village leur envoya dix écus, qu’il leur de voit il y avoit longtems et dont ils n’esperoient plus rien. Cela leur redonna la vie, car les pauvres gens mouroient de faim. Le bucheron envoya sur l’heure sa femme à la boucherie. Comme il y avoit longtemps qu’elle n’avoit mangé, elle acheta trois fois plus de viande qu’il n’en falloit pour le souper de deux personnes. Lorsqu’ils furent rassasiez, la bucheronne dit :
« Helas ! où sont maintenant ces pauvres enfans ? Ils feroient bonne chere de ce qui nous reste là. Mais aussi, Guillaume, c’est toy qui les as voulu perdre ; j’avois bien dit que nous nous en repentirions. Que font-ils maintenant dans cette forest ? Helas ! mon Dieu, les loups les ont peut-être déjà mangez ! Tu es bien inhumain d’avoir perdu ainsi tes enfans ! »
Le bucheron s’impatienta à la fin, car elle redit plus de vingt fois qu’ils s’en repentiroient, et qu’elle l’avoit bien dit. Il la menaça de la battre si elle ne se taisoit. Ce n’est pas que le bucheron ne fust peust-estre encore plus fâché que sa femme ; mais c’est qu’elle luy rompoit la teste, et qu’il estoit de l’humeur de beaucoup d’autres gens, qui ayment fort les femmes qui disent bien, mais qui trouvent très importunes celles qui ont toûjours bien dit.
La bucheronne estoit tout en pleurs :
« Helas ! où sont maintenant mes enfans, mes pauvres enfans ? »
Elle le dit une fois si haut que les enfans, qui estoient à la porte, l’ayant entendu, se mirent à crier tous ensemble :
« Nous voyla ! nous voyla ! »
Elle courut viste leur ouvrir la porte, et leur dit en les embrassant :
« Que je suis aise de vous revoir, mes chers enfans ! Vous estes bien las, et vous avez bien faim ; et toy, Pierrot, comme te voyla crotté, viens que je te débarboüille. »
Ce Pierrot estoit son fils aîné, qu’elle aimoit plus que tous les autres, parce qu’il estoit un peu rousseau, et qu’elle estoit un peu rousse.
Ils se mirent à table, et mangerent d’un apetit qui faisoit plaisir au pere et à la mere, à qui ils racontoient la peur qu’ils avoient eüe dans la forest, en parlant presque toûjours tous ensemble. Ces bonnes gensétoient ravis de revoir leurs enfans avec eux, et cette joie dura tant que les dix écus durerent. Mais, lorsque l’argent fut dépensé, ils retomberent dans leur premier chagrin, et résolurent de les perdre encore, et, pour ne pas manquer leur coup, de les mener bien plus loin que la premiere fois.
Ils ne purent parler de cela si secrettement qu’ils ne fussent entendus par le Petit Poucet, qui fit son compte de sortir d’affaire comme il avoit déjà fait ; mais quoyqu’il se fut levé de bon matin pour aller ramasser des petits cailloux, il ne put en venir à bout, car il trouva la porte de la maison fermée à double tour. Il ne sçavoit que faire, lorsque, la bucheronne leur ayant donné à chacun un morceau de pain pour leur déjeuné, il songea qu’il pourroit se servir de son pain au lieu de cailloux, en le jettant par miettes le long des chemins où ils passeroient : il le serra donc dans sa poche.
Le pere et la mere les menerent dans l’endroit de la forest le plus épais et le plus obscur ; et, dés qu’ils y furent, ils gagnerent un faux-fuyant, et les laisserent là. Le Petit Poucet ne s’en chagrina pas beaucoup, parce qu’il croyoit retrouver aisément son chemin, par le moyen de son pain qu’il avoit semé partout où il avoit passé ; mais il fut bien surpris lorsqu’il ne put en retrouver une seule miette : les oiseaux étoient venus qui avoient tout mangé.
Les voyla donc bien affligés : car, plus ils marchoient, plus ils s’égaroient et s’enfonçoient dans la forest. La nuit vint, et il s’éleva un grand vent qui leur fais oit des peurs épouventables. Ils croyoient n’entendre de tous côtés que des heurlemens de loups qui venoient à eux pour les manger. Ils n’osoient presque se parler, ny tourner la teste. Il survint une grosse pluye, qui les perça jusqu’aux os ; ils glissoient à chaque pas, et tomboient dans la boüe, d’où ils se relevoient tout crottez, ne sçachant que faire de leurs mains.
Le Petit Poucet grimpa au haut d’un arbre pour voir s’il ne découvrirait rien : ayant tourné la teste de tous costez, il vit une petite lueur comme d’une chandelle, mais qui estoit bien loin par delà la forest. Il descendit de l’arbre, et, lorsqu’il fut à terre, il ne vit plus rien : cela le desola. Cependant, ayant marché quelque temps, avec ses freres, du costé qu’il avoit veu la lumiere, il la revit en sortant du bois.
Ils arriverent enfin à la maison où estoit cette chandelle, non sans bien des frayeurs : car souvent ils la perdoient de veüe ; ce qui leur arrivoit toutes les fois qu’ils descendoient dans quelques fonds. Ils heurterent à la porte, et une bonne femme vint leur ouvrir. Elle leur demanda ce qu’ils vouloient. Le Petit Poucet luy dit qu’ils étoient de pauvres enfans qui s’estoient perdus dans la forest, et qui demandoient à coucher par charité. Cette femme, les voyant tous si jolis, se mit à pleurer, et leur dit :
« Helas ! mes pauvres enfans, où estes-_vous venus ? Sçavez-vous bien que c’est ici la maison d’un ogre qui mange les petits enfans ?
– Helas ! Madame, luy répondit le Petit Poucet, qui trembloit de toute sa force, aussi bien que ses freres, que ferons-nous ? Il est bien seur que les loups de la forest ne manqueront pas de nous manger cette nuit si vous ne voulez pas nous retirer chez vous, et, cela étant, nous aimons mieux que ce soit Monsieur qui nous mange. Peut-estre qu’il aura pitié de nous si vous voulez bien l’en prier. »
La femme de l’Ogre, qui crut qu’elle pourroit les cacher à son mary jusqu’au lendemain matin, les laissa entrer, et les mena se chauffer auprés d’un bon feu : car il y avoit un mouton tout entier à la broche pour le soupé de l’Ogre.
Comme ils commençoient à se chauffer, ils entendirent heurter trois ou quatre grands coups à la porte : c’estoit l’Ogre qui revenoit. Aussi-tost sa femme les fit cacher sous le lit, et alla ouvrir la porte. L’Ogre demanda d’abord si le soupé estoit prest, et si on avoit tiré du vin, et aussi-tost se mit à table. Le mouton estoit encore tout sanglant, mais il ne luy en sembla que meilleur. Il flairoit à droite et à gauche, disant qu’il sentoit la chair fraîche.
« Il faut luy dit sa femme, que ce soit ce veau que je viens d’habiller que vous sentez.
— Je sens la chair fraîche, te dis-je encore une fois, reprit l’Ogre en regardant sa femme de travers ; et il y a icy quelque chose que je n’entens pas. »
En disant ces mots, il se leva de table et alla droit au lit.
« Ah ! dit-il, voilà donc comme tu veux me tromper, maudite femme ! Je ne sçais à quoi il tient que je ne te mange aussi : bien t’en prend d’estre une vieille beste. Voila du gibier qui me vient bien à propos pour traiter trois ogres de mes amis, qui doivent me venir voir ces jours-icy. »
Il les tira de dessous le lit, l’un aprés l’autre. Ces pauvres enfans se mirent à genoux, en luy demandant pardon ; mais ils avoient affaire au plus cruël de tous les ogres, qui, bien loin d’avoir de la pitié, les dévoroit déjà des yeux, et disoit à sa femme que ce seroient là de friands morceaux, lorsqu’elle leur auroit fait une bonne sausse.
Il alla prendre un grand couteau, et en approchant de ces pauvres enfans, il l’aiguisoit sur une longue pierre qu’il tenoit à sa main gauche. Il en avoit déjà empoigné un, lorsque sa femme luy dit :
« Que voulez-vous faire à l’heure qu’il est ? n’aurez-vous pas assez de temps demain ?
— Tais-toy, reprit l’Ogre, ils en seront plus mortifiez.
— Mais vous avez encore là tant de viande, reprit sa femme : voilà un veau, deux moutons et la moitié d’un cochon !
— Tu as raison, dit l’Ogre, donne-leur bien à souper, affin qu’ils ne maigrissent pas, et va les mener coucher. »
La bonne femme fut ravie de joye, et leur porta bien à souper ; mais ils ne purent manger, tant ils estoient saisis de peur. Pour l’Ogre, il se remit à boire, ravi d’avoir de quoy si bien regaler ses amis. Il but une douzaine de coups de plus qu’à l’ordinaire, ce qui luy donna un peu dans la teste et l’obligea de s’aller coucher.
L’Ogre avoit sept filles, qui n’étoient encore que des enfans. Ces petites ogresses avoient toutes le teint fort beau, parce qu’elles mangeoient de la chair fraîche, comme leur pere ; mais elles avoient de petits yeux gris et tout ronds, le nez crochu et une fort grande bouche, avec de longues dents fort aiguës et fort éloignées l’une de l’autre. Elles n’estoient pas encore fort méchantes ; mais elles promettoient beaucoup, car elles mordoient déjà les petits enfans pour en succer le sang.
On les avoit fait coucher de bonne heure, et elles estoient toutes sept dans un grand lit, ayant chacune une couronne d’or sur la teste. Il y avoit dans la même chambre un autre lit de la même grandeur : ce fut dans ce lit que la femme de l’Ogre mit coucher les sept petits garçons ; aprés quoi elle s’alla coucher auprés de son mary.
Le Petit Poucet, qui avoit remarqué que les filles de l’Ogre avoient des couronnes d’or sur la teste, et qui craignoit qu’il ne prit à l’Ogre quelques remords de ne les avoir pas égorgez dés le soir même, se leva vers le milieu de la nuit, et, prenant les bonnets de ses freres et le sien, il alla tout doucement les mettre sur la teste des sept filles de l’Ogre, aprés leur avoir osté leurs couronnes d’or, qu’il mit sur la teste de ses freres et sur la sienne, afin que l’Ogre les prit pour ses filles, et ses filles pour les garçons qu’il vouloit égorger.
La chose réüssit comme il l’avoit pensé : car l’Ogre, s’estant éveillé sur le minuit, eut regret d’avoir differé au lendemain ce qu’il pouvoit executer la veille. Il se jetta donc brusquement hors du lit, et, prenant son grand couteau :
« Allons voir, dit-il, comment se portent nos petits drolles ; n’en faisons pas à deux fois. »
Il monta donc à tâtons à la chambre de ses filles, et s’approcha du lit où étoient les petits garçons, qui dormoient tous, excepté le Petit Poucet, qui eut bien peur lorsqu’il sentit la main de l’Ogre qui luy tastoit la teste, comme il avoit tasté celle de tous ses freres. L’Ogre, qui sentit les couronnes d’or :
« Vrayment, dit-il. j’allois faire là un bel ouvrage ; je voy bien que je bus trop hier au soir. »
Il alla ensuite au lit de ses filles, où ayant senti les petits bonnets des garçons :
« Ah ! les voilà dit-il, nos gaillards ; travaillons hardiment. »
En disant ces mots, il coupa sans balancer, la gorge à ses sept filles. Fort content de cette expedition, il alla se recoucher auprés de sa femme. Aussitost que le petit Poucet entendit ronfler l’Ogre, il reveilla ses freres, et leur dit de s’habiller promptement et de le suivre. Ils descendirent doucement dans le jardin et sauterent par-dessus les murailles. Ils coururent presque toute la nuit, toûjours en tremblant, et sans sçavoir où ils alloient.
L’Ogre, s’estant éveillé, dit à sa femme :
« Va t’en là-haut habiller ces petits droles d’hier au soir. »
L’Ogresse fut fort estonnée de la bonté de son mary, ne se doutant point de la maniere qu’il entendoit qu’elle les habillast, et croyant qu’il lui ordonnoit de les aller vestir. Elle monta en haut, où elle fut bien surprise lorsqu’elle aperçut ses sept filles égorgées et nageant dans leur sang.
Elle commença par s’évanoüir, car c’est le premier expedient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencontres. L’Ogre, craignant que sa femme ne fût trop longtemps à faire la besongne dont il l’avoit chargée, monta en haut pour luy aider. Il ne fut pas moins estonné que sa femme lorsqu’il vit cet affreux spectacle.
« Ah ! qu’ay-je fait là ? s’écria-t-il. Ils me le payeront, les malheureux, et tout à l’heure. »
Il jetta aussitost une potée d’eau dans le nez de sa femme, et, l’ayant fait revenir :
« Donne-moy viste mes bottes de sept lieuës, luy dit-il, afin que j’aille les attraper. »
Il se mit en campagne, et, aprés avoir couru bien loin de tous les costez, enfin il entra dans le chemin où marchoient ces pauvres enfans, qui n’étoient plus qu’à cent pas du logis de leur pere. Ils virent l’Ogre qui alloit de montagne en montagne, et qui traversoit des rivieres aussi aisément qu’il auroit fait le moindre ruisseau. Le Petit Poucet, qui vit un rocher creux proche le lieu où ils estoient, y fit cacher ses six freres et s’y fourra aussi, regardant toûjours ce que l’Ogre deviendroit. L’Ogre, qui se trouvoit fort las du long chemin qu’il avoit fait inutilement (car les bottes de sept lieuës fatiguent fort leur homme), voulut se reposer ; et, par hasard, il alla s’asseoir sur la roche où les petits garçons s’estoient cachez.
Comme il n’en pouvoit plus de fatigue, il s’endormit aprés s’estre reposé quelque temps, et vint à ronfler si effroyablement que les pauvres enfans n’eurent pas moins de peur que quand il tenoit son grand couteau pour leur couper la gorge. Le Petit Poucet en eut moins de peur, et dit à ses freres de s’enfuir promptement à la maison pendant que l’Ogre dormoit bien fort, et qu’ils ne se missent point en peine de luy. Ils crurent son conseil, et gagnerent viste la maison.
Le Petit Poucet, s’estant approché de l’Ogre, lui tira doucement ses bottes, et les mit aussitost. Les bottes estoient fort grandes et fort larges ; mais comme elles estoient fées, elles avoient le don de s’agrandir et de s’apetisser selon la jambe de celuy qui les chaussoit : de sorte qu’elles se trouverent aussi justes à ses pieds et à ses jambes que si elles avoient esté faites pour lui.
Il alla droit à la maison de l’Ogre, où il trouva sa femme qui pleuroit auprés de ses filles égorgées.
« Vostre mary, lui dit le Petit Poucet, est en grand danger : car il a esté pris par une troupe de voleurs, qui ont juré de le tuër s’il ne leur donne tout son or et tout son argent. Dans le moment qu’ils luy tenoient le poignard sur la gorge, il m’a aperceu et m’a prié de vous venir avertir de l’estat où il est, et de vous dire de me donner tout ce qu’il a de vaillant, sans en rien retenir, parce qu’autrement ils le tuëront sans misericorde. Comme la chose presse beaucoup, il a voulu que je prisse ses bottes de sept lieuës, que voilà, pour faire diligence, et aussi afin que vous ne croyiez pas que je sois un affronteur. »
La bonne femme, fort effrayée, lui donna aussitost tout ce qu’elle avoit : car cet Ogre ne laissoit pas d’estre fort bon mari, quoiqu’il mangeast les petits enfans. Le Petit Poucet, estant donc chargé de toutes les richesses de l’Ogre, s’en revint au logis de son pere, où il fut receu avec bien de la joye.
Il y a bien des gens qui ne demeurent pas d’accord de cette derniere circonstance, et qui prétendent que le Petit Poucet n’a jamais fait ce vol à l’Ogre ; qu’à la verité il n’avoit pas fait conscience de luy prendre ses bottes de sept lieuës, parce qu’il ne s’en servoit que pour courir aprés les petits enfans. Ces gens-là asseurent le sçavoir de bonne part, et même pour avoir bû et mangé dans la maison du bûcheron. Ils assurent que lorsque le Petit Poucet eut chaussé les bottes de l’Ogre, il s’en alla à la cour, où il sçavoit qu’on estoit fort en peine d’une armée qui estoit à deux cents lieües de là, et du succés d’une bataille qu’on avoit donnée. Il alla, disent-ils, trouver le roi, et luy dit que, s’il le souhaitoit, il luy rapporteroit des nouvelles de l’armée avant la fin du jour. Le roi lui promit une grosse somme d’argent s’il en venoit à bout. Le Petit Poucet rapporta des nouvelles dés le soir même ; et, cette premiere course l’ayant fait connoître, il gagnoit tout ce qu’il vouloit : car le roi le payoit parfaitement bien pour porter ses ordres à l’armée, et une infinité de dames luy donnoient tout ce qu’il vouloit pour avoir des nouvelles de leurs amans : et ce fut là son plus grand gain.
Il se trouvoit quelques femmes qui le chargeoient de lettres pour leurs maris ; mais elles le payoient si mal, et cela alloit à si peu de chose, qu’il ne daignoit mettre en ligne de compte ce qu’il gagnoit de ce côté-là.
Aprés avoir fait pendant quelque temps le métier de courier, et y avoir amassé beaucoup de bien, il revint chez son pere, où il n’est pas possible d’imaginer la joye qu’on eut de le revoir. Il mit toute sa famille à son aise. Il achepta des offices de nouvelle création pour son pere et pour ses freres, et par là il les établit tous, et fit parfaitement bien sa cour en même temps.

MORALITE

On ne s’afflige point d’avoir beaucoup d’enfans
Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands
Et d’un extérieur qui brille ;
Mais si l’un d’eux est foible ou ne dit mot,
On le méprise, on le l’aille, on le pille.
Quelquefois, cependant, c’est ce petit marmot
Qui fera le bonheur de toute la famille.

Bibliographie succincte - Auteurs ou ouvrages cités
Michel Aufray, Les littératures océaniennes, approche syntaxique et stylistique, thèse non publiée, INALCO, 2000
André Leroi-Gourhan, Préhistoire de l'art occidental, Mazenod, 1971
Richard de Fournival, le bestiaire d'amour suivi de Réponse de la Dame, Slatkine Reprints, Genève 1978
Ana Pairet, Les mutacions des fables, Figures de la métamorphose dans la littérature française du Moyen Âge, Honoré Champion, Paris 2002
Arnold Van Gennep, Manuel du folklore français contemporain, Paris, Editions Picard, Paris 1942-1951
Arnold Van Gennep, Mythes et légendes d'Australie, Flammarion, Paris 1906
Pierre Guiraud, Structures étymologiques du lexique français, Payot, Paris 1986
Esope, Fables, texte établi et traduit par Emile Chambry, Société d'édition "Les Belles Lettres", Paris 1927
Le cabinet des fées ou collection choisie des contes de fées et autres contes merveilleux, Chez Barde, Manget & Compagnie, Genève, 1785
Henri Estienne, Apologie pour Hérodote ou Traité de la conformité des Merveilles anciennes avec les modernes (13ème édition) Henri Scheurleer, La Haye, 1731
Jean Bottéro, l'épopée de Gilgameš ou le grand homme qui ne voulait pas mourir, Gallimard, 1992
Collin de Plancy, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, Guien & Compagnie, Paris 1821-1822-1823.
Ovide, Les Métamorphoses, Edition des Belles Lettres, texte établi et traduit par Georges Lafaye (nombreuses rééditions)

Sites à consulter :
Le cerveau à tous les niveaux
Le Petit Chaperon rouge

Bonnes lectures

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