Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (23)

Vous avez dit primaires ? J'avais donc bien entendu…

Lorsque j’entends le mot « primaire », je ne puis m’empêcher de le relier à l’école qui m’a appris à lire, écrire et compter, cette école « primaire » qui m’a permis de passer de l’état de parlant, tant bien que mal d’ailleurs, à celui d’apprenant, de l’état d’apprenant à celui de connaissant, tant bien que mal encore, qui m’a permis de m’ouvrir au monde hétéroclite des autres par la lecture et jusqu’au mien par l’écriture.

Ainsi pour moi, le mot primaire est lié à l’enfance comme il est lié à de nombreux mots avec lesquels celui de « premier » fait écho, et je réfute, avec Gérard Macé, l’usage du mot « premier » – primitif n’est pas mieux – pour désigner les arts des continents africain et océanien ; « lointains » rectifie Gérard Macé afin de les placer non dans le monde de l’enfance mais dans l’espace, dans le topos plutôt que dans le temps.

Les « primaires » sont donc ces classes pour les tout-petits dont je fus, et c’est aussi le mot qu’empruntent une brochette d’hommes et de femmes politiques pour que le peuple des tout-petits les départagent dans leur course à l’Élysée. Et il ne s’agit pas là d’enseigner quoi que ce soit à ce peuple de tout-petits, mais de les jeter dans la nasse de l’élection du plus fort, du plus doué, du plus j’en passe et j’y reviendrais.

Reprenons donc notre leçon pour les tout-petits. Apprendre à écrire, c’est difficile et compliqué. Il y a vingt-six lettres dans notre alphabet, mais ces vingt-six lettres permettent de s’ouvrir au monde fabuleux des mots, plus de dix-huit mille ainsi qu’en compte le Littré, avec lesquels on peut entrer dans le monde des autres en général et celui de la pensée en particulier.

Mais dans ces autres primaires, il n’y a que six lettres avec lesquelles on ne fait guère qu’une vingtaine de promesses plus ou moins convergentes, plus ou moins divergentes et beaucoup de sourires bien fabriqués, des sourires en fin de phrases, des sourires dans les phrases, des sourires de connivence comme ceux des publicités parlées diffusées sur les ondes, vous savez, celles qui vous propulsent dans le monde des produits industriels, celui des yaourts qui vous font bonne mine et ventre plat, celui des automobiles qui font chaque jour presque autant de morts, et parfois plus, qu'en fait chaque jour aussi le tyran syrien encore en place, celui des assurances, celui des banques qui savent mieux que personne vous délester de vos économies, un monde de promesses de vie meilleure, de vie heureuse, le paradis sur terre. C’est mieux que l’enfer, non ? cet enfer que promettent ces curés détrousseurs de tout-petits s’ils ne se laissent pas faire.

Je ne doute pas que ces six candidats ont les sourires de ces curés violeurs, ils ont ceux de ces publicitaires malicieux et trompeurs, et d’autres candidats, ceux qui viendront en mai prochain, auront les mêmes sourires, sans un iota de différence. Ainsi les tout-petits se précipiteront dans leurs bras, entre leurs jambes, yeux et culotte baissés, et déposer dans l’urne sacrificielle leur bulletin de vote sans se douter que leur vie même, la vraie, restera pour la plupart un enfer, celui du monde de la consommation sans limite mais borné par la capacité à y accéder, du travail sans garde-fou, manne sur laquelle on pompe sans retenue impôts et charges comme on pompera leurs organes sur leur frais cadavre afin d’enrichir les capitaines de l’industrie pharmaceutique…

Si l’école est obligatoire, le vote ne l’est pas encore et, de toute façon, les abstentions et les votes blancs n'ont ni poids ni valeur. Un candidat pourrait être élu avec une seule voix, la sienne, face à des millions d’abstentions mais peut-être serait-il moins fier, serrant les fesses avant de monter sur le trône.

Alors, les tout-petits, réfléchissez. Il est encore temps de devenir grands et de fabriquer son monde au lieu de le subir.

P.B. ce 8 octobre 2011

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