Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (11)

Quand j’entends le mot cul(ture), je sors mon revolver

En 1968, s’affichaient sur les murs, repris par les milliers de poumons, la revendication par la jeunesse de droits inscrits dans la Constitution française, mais allègrement bafoués par le Général président en charge des affaires, celui de penser librement, celui de s’exprimer librement, celui d’étudier librement, mais aussi, sur-jacent, celui d’user de son corps librement et sans contrainte.

La presse télévisée était alors muselée par un Alain Peyrefitte qu’on élut, en 1977, à l’académie française ! La culture fit monter sur l’Olympe le porteur de ciseaux, un Peyrefitte qui fut aussi ministre des prisons, pardon ! de la justice… Molière, quelle chance as-tu eue qu’on t’en ait fermé les portes !

Mais, bref ! La femme était traitée alors comme partie négligeable, un bout de machin qui, en se mariant, perdait sa majorité (qu’en aurait-elle fait ?) et ne pouvait ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de son mari. Avait-elle seulement une âme, se demandait l’Église ? Son corps lui appartenait-il, n’était-il rien d’autre que le réceptacle du sperme du mari, de l’amant ou du violeur de passage, ajoutait le pouvoir temporel ?

L’avortement était puni de prison, voire de mort (une avorteuse fut guillotinée en 1943 !). Pourtant, les femmes en demande ne manquaient pas. Elles allaient par milliers se faire avorter en Angleterre ou en Hollande – toutes des salopes ! – tandis qu’il en mourait entre les mains des faiseuses d’anges. La contraception médicamenteuse débutait. Les premières pilules contraceptives avaient été autorisées en France en 1967 (elles l’étaient au États-Unis dès 1960) mais la contre-publicité qui leur était faite était de règle : elles étaient immorales autant que dangereuses, on pouvait en mourir... La capote existait bien, mais elle était chère et bien des pharmaciens refusaient de la vendre aux jeunes gens, garçons ou filles, qui avaient décidé de se prendre en charge. Quant à l’homosexualité, elle était passible de prison !

1968 prit le pouvoir à contre-pied : Liberté, criait-on ! Vous l’aurez, de haute lutte, mais vous l’aurez. Nous l’avons eue…

Mais ce n’était pas celle à laquelle nous nous attendions. Le marché du corps, le marché du sexe s’y engouffrèrent tandis que l’acculturation de la jeunesse devenait un principe directeur.

Nous criions : « Faites l’amour, pas la guerre ». Invoquer le droit de ne pas faire la guerre était passible de prison : atteinte au moral de l’armée, disait-on. Au gnouf, les lavettes ! Nous criions « faites l’amour », ils ont entendu « baisez ». La différence était de taille !

Pour que la baise devînt un marché, il fallait la cantonner à une simple technique : un zizi qui se raidit face à une zezette qui mollit, sans plus. L’amour entre deux êtres ? Qu’est-ce que c’est ? C’est désuet ! Ça ne correspond à rien de concret, à rien de marchand. Ouste ! À remiser au magasin des accessoires ! Et puis, cela ne s’enseigne pas ! On fit donc appel à l’Éducation Nationale. On lui supprimait le latin et le grec, et, à la place, on lui fourguait le sexe. Elle avait bien le sport ! La culture de ces jeunes têtes ? Elle s’en fichait bien ! Parler de cul, ça détend, entre deux grèves… Et c’est moins fatiguant que de parler d’Homère ou de Virgile… Quant aux travaux pratiques, on les laissa aux pères, aux mères, à la famille, aux voisins. On leur passait à la télé, chaque mois sur TF1 ou l’A2, des reportages racoleurs tournés en Asie du sud-est montrant des petits garçons et des petites filles vendus pour être violés par des touristes du monde entier, des reportages sur des prêtres pédophiles, des directeurs de maisons de correction, des professeurs itou. Ça donne des idées, ça ! Quand on n’est ni curé ni directeur de l’un de ces établissements et quand on n’a pas un rond mais un enfant pas trop braillard sous la main… On viole donc en famille, on viole en voisin, on viole à l’école et c’est devenu si commun, si banal, si martelé, une telle évidence, que le monde policier, le monde judiciaire, le monde médical, le monde scolaire sont prêts à entendre n’importe quel petit dénonciateur, n’importe quel fabulateur ou fabulatrice ; ils s’y engouffrent, ces mondes, ne sachant plus démêler le vrai du faux, le fantasme de la réalité, comme si toute la terre entière violait la terre entière. On viole, oui, on tue, oui, mais ce n’est pas un passage obligé !

Pendant ce temps, on vend sur site ou sur catalogue, comme La Redoute ou le supermarché du coin, mais des femmes, des hommes, des enfants… On fait son choix. Il y en a pour tous les goûts et de toutes les couleurs. Les trottoirs des villes n’étaient pas assez longs, pas assez larges ; avec Internet et les voyages organisés, les boulevards de l’esclavage sexuel font le tour du monde traversés par des avenues innombrables et plus larges que les Champs-Élysées, des places plus vastes que la place Tien An Men. L’« autre » devient une proie pour ces « braves gens » que l’on a éduqués à coups de jeux du cirque, que l’on abrutit de spots publicitaires, d’émissions radio ou télé-diffusées plus stupides les unes que les autres hors les îlots que constituent encore, mais pour combien de temps ? France-Culture, France-Musique, Radio France International ou Arte. Pour les autres, pour la majorité des autres, la chasse à l’enfant, la chasse à la femme sont ouvertes, toute l’année, et il n’est pas besoin de permis.

En 1968, on parlait encore d’amour. En 1969, on parlait déjà de sexe.

Patrice Bérard, 13 juillet 2009

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