Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (2)

Publicité et image de la femme

De séjour à Évian, ma femme et moi ne pouvions manquer d’aller faire un tour à Lausanne, d’autant qu’une exposition Caillebotte s’y tenait et que nous ne voulions pas la manquer. Un ami peintre, évianais, Pierre Christin, nous conseilla d’aller déjeuner au Chalet Suisse, un restaurant réputé posté sur le haut de la ville. Nous suivîmes son conseil. Vers midi, nos yeux repus des tableaux de Caillebotte mais nos ventres étant demeurés vides, nous nous mîmes en quête du dit Chalet. On nous en indiqua vaguement le chemin qui passait par un bois clairsemé aux larges avenues. Nous l’empruntâmes.. Nous nous attendions à trouver en chemin quelque panneau, discret ou même tapageur, nous indiquant la direction de ce restaurant, car nombreuses étaient les intersections. Mais de panneaux, point. D’indications, aucune. Nous accostâmes plusieurs passants qui nous firent passer, qui à droite, qui à gauche, qui plus haut, qui plus bas, car nous nous étions trompés plusieurs fois, jusqu’à ce que, après une heure de marche ou peu s’en faut, le chalet apparut enfin à nos yeux. L’enseigne était discrète, les mets passables mais le vin excellent.

Retournant en France par le bateau, je me surpris à regarder les deux côtés du Léman, le côté suisse, discret, le côté français constellé de panneaux, tous plus arrogants les uns que les autres, aux couleurs criardes, aux images inconvenantes, sordides ou stupides, aux messages débilitants. Eh oui ! Nous venions de quitter un pays qui nous laissait la liberté de voir et de regarder paysages, rues ou maisons, sans avoir les yeux agressés par ces panneaux fixes ou déroulants qui défigurent vos villes, nos villages, nos campagnes, nos couloirs de métro, nos autobus, nos camions, et jusqu’à nos tee-shirts, nos chaussures, nos bagages, tout. Nos panneaux fixes ne nous suffisent plus. Il nous faut être nous-mêmes des panneaux ambulants, porter sur nos chaussures le signe en forme de virgule, une virgule qui ressemble fort d’ailleurs à un étron, fort à propos lorsqu’il s’agit « d’écrase-merde » mais plus difficile à justifier lorsqu’il est inscrit au front d’une casquette. Quoique...

Transformés en panneaux publicitaires, nous nous parons des noms des autres et, n’étant plus nous-mêmes, nous nous fondons dans la masse et nous reconnaissons dans les mêmes inscriptions que nous découvrons sur celui ou celle que nous croisons ; il ne nous manque plus que quelque dessin ou photographie d’une jolie jeune femme dévoilant ses charmes, un sein, une cuisse, un morceau de fessier, tels qu’on les voit s’étaler sur les affiches pour vanter une marque de yaourt, une marque de voiture, un grand magasin, des femmes sur mesure, muettes, parées comme les viandes des étals des bouchers auxquelles il faudrait cependant ajouter un brin de persil dans le derrière pour qu’elles paraissent encore plus naturelles, plus consommables dirions-nous. L’illusion serait alors parfaite.

Malgré tous les efforts effectués au cours de ces quarante dernières années pour restaurer une image de la femme non dégradée, non dégradante, non humiliante, ces images continuent de la dénaturer, d’une façon pernicieuse, par leur répétition, leur redondance, leur multiplication, leur abondance. Quoi qu’on nous vende, quoi qu’on nous vante, il faut y ajouter ce grain de sel, ce piquant – mais qu'avons-nous dans la tête pour ne pas réagir ? – d’une femme décervelée, bonne à prendre comme à laisser, telle que l’on peut tout à loisir en découper dans les magazines, en placarder, en encadrer, en déchirer, en jeter à la poubelle ainsi que le font certains hommes qui les battent sans vergogne, qui les broient, qui les violent, qui les tuent, sans même penser à mal. Que sont-elles ces femmes après tout, des chieuses, des emmerdeuses, des empêcheuses de boire un coup, d’en tirer un autre. Et une femme, une ! Remettez-moi ça, patron, j’ai fini la mienne !

La publicité a tenté de nous faire croire qu’elle nous informait, qu’elle ne nous prenait pas pour des cons, qu’elle nous offrait tout, pour rien, ou si peu. Elle a vendu des présidents, qu’on se souvienne de « La Farce Tranquille », comme elle vend du papier hygiénique, de la banque devenue canaille, de la bagnole tueuse et frimeuse, de la fripe, des meubles en pur faux bois bourrés de colles et fabriqués par de petits doigts, loin d’ici, travaillant de jour et de nuit pour un bol de soupe. Elle écrase, elle tue, elle pollue les esprits. Elle écrase des producteurs, elle tue des femmes, elle pollue nos villes. Elle caresse dans le sens de la bêtise, de l’aveuglement, du mauvais poil et du sous-entendu, et sa gamme s’étend de l’ignoble au stupide, du monstrueux à l’indécent, dans une totale indifférence ainsi qu'une totale impunité.

Parce qu’elle défendait les droits des femmes en publiant, sous la Révolution de ’89, la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne qui devait être le pendant et le complément indispensable de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen à laquelle il manquait, tout de même, la moitié de l'humanité, ne fût-elle que nationale, Marie Gouges, dite Olympe de Gouges, eut la tête tranchée. Aujourd’hui, il n’est plus besoin de moyens si expéditifs. La publicité s’en charge.

Un site à visiter : Yvette Roudy

Patrice Bérard, 24 mai 2009

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