Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (20)

Quand les oreilles me sifflent...

Lorsque le curé fait sonner les cloches pour appeler ses fidèles à la messe, lorsque le muezzin chante du haut de son minaret pour appeler à la prière, lorsque le président de la république aboie au micro pour appeler à la dévotion au système démocratique qui n’est jamais qu’un système royaliste revu et corrigé à la sauce populiste, lorsque l’expert en matière nucléaire rappelle qu’il n’y a aucune raison de se méfier de ces petites particules radio-actives qu’on inhale ou qu’on ingère, lorsque l’Autorité sanitaire donne autorisation de commercialiser un produit pharmaceutique en vantant ses effets réparateurs et bénéfiques pour le faire retirer quand l’hécatombe devient trop évidente, lorsque l’industrie chimique appelle à répandre ses produits mortifères dans les champs en soutenant qu’elle ne vise que les nuisibles ou appelés tels alors qu’elle s’ingénie à supprimer toute vie organique aérienne comme souterraine alentour, je ne regrette pas d’être définitivement agnostique.

Tous ces bonimenteurs me promettent le paradis, un paradis dans le ciel entouré d’angelots, mais je ne suis pas pédophile, ou de vierges lascives, mais j’aime ma femme, ou me promettent un paradis sur terre alors que je ne vois qu’augmenter la misère, plus d’un milliard de crève-la-faim, et ne vous méprenez pas sur le sens de ce mot, ce sont vraiment des personnes qui meurent et qui meurent vraiment de faim, alors que j’en vois sur les routes et sur mer risquer leur vie pour fuir la misère, alors que j’en vois désarmés devant les dégâts causés par ces industriels, par ces hommes politiques qui ne pensent, eux, qu’à leur petit paradis, le leur, bardé de paillettes et d’ors qui nous valent de vivre l’enfer.

Je pense soudain à Jean Teulé qui fait paraître chez Fayard « Charly 9 », ouvrage consacré à Charles IX , ce petit roi sanguinaire qui pensait vraiment qu’il n’avait pas besoin de peuple et que sa tâche, la plus haute, aurait été de le passer, ce petit peuple, un à un et jusqu’au dernier, par le fil de l’épée, mais voyant, à la fin de sa vie, du sang partout tant il en avait fait couler, cauchemardant, hurlant la nuit, et je pense aux pièces écrites par Shakespeare, Hamlet, Richard III, et je pense à Machiavel, et je pense à toute cette littérature, depuis Petrone jusqu’à Gilles Châtelet en passant par Rabelais ou Madame de Lafayette, qui met en garde, qui montre du doigt par le roman, l’essai ou le théâtre, toute cette littérature donc que l’on veut remiser au musée des antiquités. Car elle est pernicieuse pour les pouvoirs, elle est pernicieuse car elle fait réfléchir.

Il faut un peuple à la mesure de ses dirigeants, acculturé, déculturé, abruti – regardez la France, elle s’est choisie les dirigeants les plus bêtes, les plus âpres au gain, des députés qui se votent en catimini six ans de rémunération si leur mandat n’est pas reconduit, six ans sans pointer à l’ANPE, six ans sans obligation de rechercher un emploi, six ans à nous faire un pied-de-nez moqueur, avez-vous vu le vide qui règne dans l’hémicycle ? pas d’obligation de pointer non plus à la Chambre, à boire leur temps libre à votre santé tandis que ferment les hôpitaux, pas rentables, et puis c’est pour les pauvres, les hôpitaux, les pauvres et les immigrés, et les pauvres ne votent pas, les immigrés non plus, ceux qui votent, ceux qui y croient encore, le font les yeux fermés, au petit bonheur la chance, comme au super-marché lorsqu’on hésite entre un jambon aux phosphates et un poulet au hormones, tous deux bourrés d’antibiotiques, nourris aux OGM arrosés de pesticides et irradiés pour la conservation, on se sait jamais, ça pourrait pourrir trop vite ces viandes insanes…

Mais ces jours-ci, je vois les représentants des diverses confessions s’élever contre un jeu douteux que le pouvoir français voudrait leur faire jouer. Il faut dire que j’en ai rencontré de très biens, des grands rabbins passionnés de littérature arabe par exemple, tout un monde religieux passionné par les différentes cultures religieuses et profanes. Il y a des gens biens partout, qu’ils soient en robe ou non, des gens qui n’hésitent pas à apprendre et à parler une bonne demi-douzaine de langues, à lire Stendhal ou Kadaré, à piocher au hasard dans les librairies et les bibliothèques, à ne pas se laisser berner par l’hypocrisie ou le prosélytisme ambiants.

Ce n’est pas parce que nos dirigeants sont incultes, intéressés, vénaux, qu’il faut leur ressembler.

Croire, pourquoi pas ? Mais douter, pour faire cartésien, s’indigner ou résister, pour faire hesselien, se révolter, pour faire révolutionnaire, ça n’est pas mal non plus.

P.B. 1er avril 2011

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